A peine
écrit Eric Sautou dans l’un des deux volumes parus chez Faï fioc, C’est à peine s’il pleut, le second étant Son enfance.
Les deux volumes sont si beaux, si fragiles que l’on craint presque d’y toucher, de parler de ces peaux très fines, toutes prêtes de se fendre.
Tout est dans l’éphémère si ténu dans C’est à peine s’il pleut, comme c’est à peine, pour toute chose : « une fois encore nous sommes choses (soulevées »
… lumière (et ne fait que passer) »
La petite maison demeure, et le jardin délaissé, et les promenades au bord de la mer, cet homme reste là dans l’absence, à peine debout, à peine accroché : « vous dites fleur et vous y êtes ».
La terre semble du sable, le cœur bat sans savoir pourquoi, « vivant encore un peu », « pendant le temps où tu n’es pas », comme si ce temps pouvait ne pas durer. Comme si qui que ce soit pouvait revenir.
On lit, on voit, on entend des rappels des deux livres précédemment écrits La véranda (Unes 2018) ou Beaupré (Flammarion 2021), leitmotiv de la mer, de la maison du jardin, de la pluie, de l’absence.
Tout se retire, les lieux dits s’effacent, les voix se sont tues, on ose à peine effleurer ces pages qui s’effritent sous la lecture.
« Ma belle mort tout mon tourment chose
De mourir ou de prendre fin », quelle beauté du simple, du plus simple autant que du plus profond.
Une fois encore vouloir, ce si pauvre geste encore, petite obstination non convaincue.
La maison, le jardin, la mer tout se retire.
« Je vais écrire
aux choses de poésie choses défaites ».
« est-ce que je pense pense-t-il
J’ai été tout autre bien souvent »
« Parfois quelque chose un peu qui m’intéresse »
Ce soulèvement toujours trop lourd qu’est l’existence : « Je ne sais pas si je suis là »,
choses minuscules et déchirantes, « j’entasse de petits sarments/que je mettrai à flot » entre les vagues de la mémoire comme de la mer et ou celles de la neige, d’ailes de papillon comme déjà trop lourdes… Bris de contes s’enchevêtrent toujours avec la même touche tellement légère qu’on craint qu’elle ne se brise avant de toucher le blanc…
Le mouvement est ancien :
Les fleurs que j’aimais je les savais toutes
déjà d’autrefois
Sons frêles (des grelots), choses à peine, silhouette tremblée, maison de paille comme dans le conte de nos enfances.
C’est une poésie d’ à peine voix, la voix d’une peine infinie, inconsolable, et qui nous mène dans un silence tellement bouleversé.
Isabelle Baladine Howald
Eric Sautou, C’est à peine s’il pleu,t Faï fioc, 43 p., 10€
Eric Sautou, Son enfance, Faï fioc, 52 p., 10€
Extraits :
Feroé
A peine jour que déjà nuit.
.
Maison de paille. De paille, répète-t-il. Pourquoi
maison ? Pourquoi de paille ? Pourquoi maison de
paille ces mots précisément ?
Nulle maison de paille dans sa vie.
Pense maison. Pense paille. Ne sais pourquoi ces mots-là.
Maison de paille, de paille, de aille, maison de paille prend feu.
Plus rien après ça que feu de paille, maison de paille prend feu.
(Il dort).
(Son enfance, p. 46)
*
Feroé feroé
.
toutes ces choses
soulevées
choses
soulevées
une fois encore nous sommes choses (soulevées)
.
Et les nuages (nuages)
.
passe
le chemin de la rivière
vois dans le peu de profondeur et ne fait que passer
lumière
lumière (et ne fait que passer)
(C’est à peine s’il pleut, p. 12)