C’est décidément une très belle livraison que celle des éditions Faï fioc, découverte en partie au Marché de la Poésie de Paris, cet automne. Livres d’Eric Sautou, de Véronique Gentil et donc aujourd’hui de Mary-Laure Zoss, qui publie D’Ici qu’à sa perte.
En voici l’incipit.
DES LORS QU’IL S’AGIT DE VIDER LES LIEUX
« Nous ne sommes pas au monde. Il n’est plus nulle part où nous pourrions aller, ni avant, puisque c’est du passé, ni après, où le triste aujourd’hui, en l’absence d’alternative, semble devoir indéfiniment se perpétuer. »
Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant
non plus au bord ; au lieu d’une existence de plain-pied, nos terres cousues de ciment – froissés, contusionnés on s’y écrase, débités plus morts que vifs ;
morfondus dans l’aigre cisaille – d’éclats livides, de stridences ; s’y époumone la voix saignée à blanc ;
ce monde-là, notre langue fautive de n’en épeler rien, aux dires de ; surgi de front, entrechoqué ; fulminant broutilles et balivernes ; sa fluorescente mitraille crachée aux yeux ;
quant à nous, ramassis d’égarés, combien à l’étroit ; en porte-à-faux ; stupides ou n’y comprenant que dalle ; on a beau faire, pas grand-chose à saisir là autour, comme si nulle âme pour y parler
par sa charge devancé, corps à l’équerre ; pleine brouette – cogne ici la pente, de bois fendu ; plus guère de soleil, la porte tout en bas, d’une cave on dirait ; le tas sur l’herbe diminue, l’ombre l’accule contre la grange ;
non qu’il aspire à tomber – ni à rejoindre, ce corps ; rien devant rien derrière, l’image plantée comme une esquille, d’un qui va, sans contrepoids, fait encoignure au talus ;
à notre dernier passage, neige amoncelée, porte close
de là – à défaut d’ici, peu traverse, dans un sens pas plus que dans l’autre, tout comme dehors, dedans ouaté froid ;
quasi debout, ayant forme raide au bord de chavirer, calées endolories dans l’arrière-fond ; et leur usure – tombante épaule, poigne gercée, leur vigueur toute à retremper ;
souffler, il va falloir souffler encore retenu, sur l’image inerte, ou presque ; sans faiblir ;
à leurs doigts gourds un afflux de sang, sitôt que vieillit la lumière ; non relevas, malheur à eux quand ils chutent, ceux-là qui vont seuls – vers l’infaillible désastre ; et nous à la suite
(...)
avant qu’il n’en subsiste – et qui pour y dénouer le crin glacé des ruisseaux, l’herbe d’hiver ou l’effilement laiteux des premiers ciels ? plus rien qu’une poignée de mots
Mary-Laure Zoss, D’ici qu’à sa perte, éditions Faï Fioc, 2021, 80 p., 12€, pp. 9-15 et 31