La voix de Thierry Metz, que le film réalisé par Marie-Violaine Brincard et Olivier Dury, L’homme qui penche (Survivance, 2020), fait entendre, semble de plus en plus présente avec la parution d’inédits et la réédition de volumes épuisés depuis la parution de deux numéros spéciaux de la revue Diérèse il y a déjà dix ans.
Nous entrons dans Terre par des phrases courtes, tranchées net.
Comme Orphée, le poète se retourne. Mais il ne voit que ses propres traces inscrites dans l’argile molle. Voici ce qui reste : le chemin qu’il nous affirme habiter, « mais où [il] ne rester[a] pas ». Il rassemble des mots comme « herbe », « nuage » ou « hêtre » : « Avec ça je me fais une corde. Je suis dans mes mots. Jusqu’à l’écriture. J’appartiens à ce qui est dit, au chemin. / Alors je peux charger le jour sur mes épaules et monter. » Cette corde, omniprésente jusqu’à la dernière page, permet de hisser le seau hors du puits ou des matériaux en haut de l’échafaudage. Mais sa présence résonne aussi comme une menace en ce texte coupé, haletant. Des groupes nominaux aux infinitifs, l’actualisation est minimale :
Une plante dans un pot.
Un pichet.
Toute la mort derrière la vitre.
Tout est tenté. Toujours. En vain.
Quelques vers très courts, repoussés hors des versets témoignent de l’impossibilité de dénouer des fils de vie ou de saisir la corde comme un secours. Au contraire, elle lie, attache, alourdit en dépit d’une issue espérée au début du livre :
Pour tenir je me suis encordé.
Et je tiens.
J’entre dans la nuit enfin délivré. Dans la nuit, dans le recommencement.
L’ambivalence, présente dans les premières pages, disparaît peu à peu :
où je n’entends plus que ce qui est tenu par la corde
j’écoute
je monte
puis c’est comme un calme
attendant d’être hissé
sur le sol dur
de n’être plus rien.
La réduction se dissémine dans le texte, de la négation restrictive aux limitations (d’espace, de personne …). Le passé, le chemin parcouru se rencontrent pour obstruer l’horizon, dans un futur caduc ou refusé :
Dans une demeure que je n’attendais pas, si frêle
où ma voix
comme une torche
s’éteint.
Ne s’entend plus
que sur un bûcher.
Source de lumière contrariée, inversée en un feu réducteur, le bûcher des défunts voisine la terre qui couvre le corps ou le drap devenu linceul. Ce chant laisse parfois percevoir un oiseau, un silence, un arbre, une fleur. Dans des groupes nominaux sans expansion, ils sont privés d’élan : « mais le ciel n’est pas là ». L’aspiration à la lumière et à la vie, éminemment présente, est sans cesse différée, privée d’un accomplissement qui sauverait. Face à ce qui résiste et s’oppose, la main écrit, les mains travaillent la matière. « À l’être travaillant, le geste du travail intègre en quelque sorte l’objet résistant, la résistance même de la matière », écrivait Gaston Bachelard dans La Terre et les rêveries de la volonté (Corti, 1947). Et c’est bien à la fusion du poète et de la terre que procède le poème.
La quatrième peinture de Véronique Gentil, « Palimpseste », montre une écriture à peine lisible où l’on peut déchiffrer le mot « rien », répété, diffracté. Le poème semble frappé d’impuissance malgré la nécessité d’écrire :
Est-ce une voix de pure perte ?
Un autre pas vers rien ?
On entend aussi, dans la voix du poète, l’enfant perdu, Vincent, qui revient :
Pour l’enfant pour l’oiseau
dont je fais un secret
d’écriture.
Celui qui, manquant, cogne doucement dans les vers, les prive peut-être d’exister vraiment et de suivre les pistes que le poète fait entrer dans le poème : « le ciel n’est pas là », « Jour de semaine. //Sans écriture. », « Qui saigne comme un oiseau. », « comme si / je tenais un oiseau mort. »
Si le four du potier peut transformer l’argile en tuiles protectrices, celui du boulanger la pâte en pain, le foyer du forgeron permet de donner des formes utiles aux métaux. Mais l’enclume si lourde et difficile à déplacer indique déjà une limite dans le possible. Quelle transformation prodigieuse attendre du feu ?
Mais je rêve sous la terre
creusé par la roue
je ne dispose de rien
que de m’être sauvé
en arrachant de l’herbe.
Les mots peuvent être aspirés par d’autres, par contigüité de sons : « L’eau. / L’autre. » C’est toujours pour réduire la possibilité ou l’échappée vers les accroches qui pourraient ouvrir une perspective. Les « mots », dérisoires, vont de pair avec la vie « durcie » par le feu, réduite, avec « nos mains refusées à l’oiseau ».
Le présent, l’« ici » sonnent dans le texte qui ne déroule pas un récit continu, le chemin est heurté comme on se cogne à la réalité. Toujours quelque chose rappelle, le passé, ou une absence :
comment ne suis-je pas mort
sous cet éboulis
En poursuivant le livre, la présence de l’enfant se fait plus forte, son absence influe sur les vers. Il n’est pas nommé mais revient trébucher dans le poème « comme une voix qui s’éloigne ». Par le poème, une jonction semble possible entre eux deux : « Pourtant il est ici / avec moi ». L’écriture devient appel, retrouvailles espérées au prix d’un renoncement comme si le fil du poème devenait frontière entre deux mondes :
J’écris comme si je résistais
comme un petit serpent mais
ce sera le seul geste
de consolation.
Illusoire mais vécu, le lien ainsi rétabli par le poème reste fragile :
Mais je vis dans l’automne
avec la dernière fleur
jaune
incisée,
puis incinérée.
La proximité phonétique des deux derniers mots va vers la disparition. Pourtant, nul autre choix. La restauration, à ce prix. Ce qui reste, c’est ce chemin de mots et de terre où passa le poète.
Isabelle Lévesque
Thierry Metz, Terre, peintures de Véronique Gentil, éditions Pierre Mainard, 2021, 64 p., 15 €
On peut feuilleter quelques pages du livre ici
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Extrait :
Plus loin
où je n’entends plus que ce qui est tenu par la corde
j’écoute
je monte
puis c’est comme un calme
attendant d’être hissé
je m’enterre
sur le sol dur
de n’être plus rien.
Confiant jusque là-haut
où j’aurais prise
entre mon silence
et mon cri
j’entraîne mes pas.
Dans une demeure que je n’attendais pas, si frêle
où ma voix
comme une torche
s’éteint.
Ne s’entend plus
que sur un bûcher.
Thierry Metz, Terre, p.15