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(Note de lecture) Marcel Migozzi, Il restera des étincelles, par Eric Eliès

Par Florence Trocmé



Marcel Migozzi  il restera des étincellesLe dernier recueil de Marcel Migozzi, intitulé Il restera des étincelles, a été publié en avril 2021 par les éditions Tipaza, qui ont accompli un travail remarquable pour composer ce beau livre, illustré de douze peintures en pleine page de Serge Plagnol, qui est un ami proche de l’auteur, et précédé d’une éclairante préface de Maryline Desbiolles, qui dévoile le souci de Marcel Migozzi d’enraciner – amoureusement – sa poésie dans la chair du monde avec des mots travailleurs et jardiniers. Il était prévu que l’ouvrage comporterait également quelques mots de Bernard Noel, ami et poète admiré par Marcel Migozzi, qui lui a d’ailleurs rendu hommage dans le cahier publié sur Poezibao, mais la grande faiblesse de Bernard Noel, décédé en avril, ne lui a pas permis d’achever ce signe amical…
Mais l’amitié des poètes s’achève-t-elle à leur mort ? Le titre de ce dernier recueil, qui s’inscrit dans la continuité des autres recueils récents de Marcel Migozzi, apparaît comme une sorte de murmure d’espoir que, maintenu vivant par l’éternel présent de la parole poétique, le feu d’une vie intensément vécue subsiste dans les mots, comme des braises sont capables, non de faire reprendre le feu qu’on pensait éteint (on ne ressuscite pas de chez les morts…), mais de rougeoyer encore, au souffle d’une lecture, pour donner à ressentir la chaleur et la lumière de la flamme qui brûlait en nous. La poésie de Marcel Migozzi, à l’écriture épurée refusant tout pathos et tout élan mystique, s’oppose à l’usure du temps, qui nous érode inéluctablement – corps et cœur – et nous mène à la mort, qu’elle s’efforce de surmonter par le recours au langage pour sauver quelque chose de notre présence. « Faute d’éternité, écrire » fut le titre d’un précédent recueil de Marcel Migozzi. Dans ce recueil également, assumant notre condition d’être mortel, le poète tente de saisir et conserver, dans l’écrin du poème, la beauté miraculeuse de nos vies, fragiles et fugaces, et l’éclat des instants qui ne reviendront plus, se dérobant comme des mystères insaisissables...

Ce qui s’est dérobé
Fait signe
Signe de mélancolie
C’est une flaque désolée d’être en suspens
Ou signe d’utopie
Un ciel attend d’être achevé
Par ses voyelles

Le poète reçoit ces signes, non comme des visions d’un témoin qui serait extérieur au monde, mais comme un être de chair hanté de ses souvenirs. La guerre, qui marqua l’enfance de Marcel Migozzi (né en 1936), est présente dans le recueil, et s’actualise, comme une résurgence sur les trottoirs des villes, dans la misère des vies précaires. Renouant avec la veine sociale de ses premiers poèmes, qui avait conduit Robert Sabatier, dans sa grande étude encyclopédique, à présenter Marcel Migozzi comme un poète de la condition ouvrière, le recueil évoque la dureté du monde moderne et ses exclus (ainsi, ces ouvriers maghrébins maculés de cambouis, travaillant à goudronner une route et qui lui semblent porter le deuil de la Méditerranée). L’enfance fut difficile et marquée de privations, pour Marcel Migozzi mais surtout ses parents, qu’il évoque dans des « poèmes-reposoirs », comme des reliquaires de mots, avec le regret de n’avoir eu le temps, une fois parvenu à l’âge adulte, de les consoler de leurs peines matérielles. Néanmoins, les souvenirs, filtrés par la mémoire, sont illuminés de soleil et nimbés du bonheur terrestre des êtres et des choses aimées :
C’est comme il pleut dans la poussière, on suit
Un chemin suspendu dans le regard, on voit
Un vieux cahier sali de boue
Le visage d’un écolier y transparaît
Dépôt de dartres, joues qui tremblent, c’est la guerre
Le ciel presque disparu
Mais dans le bleu réalisé par un été
Ses yeux espèrent
Quel défi
A notre époque de barbares
Quand l’invisible main du cœur
Caresse et oublie les carcasses
La caresse est ce qui caractérise le mieux la poésie de Marcel Migozzi, légère comme un effleurement porté par l’amour en ce monde empli de douleurs. A quelques rares exceptions, tous les recueils de Marcel Migozzi, depuis au moins une décennie, ont des titres qui avouent le sentiment presque obsessionnel de la mort et portent le poids d’absence des deuils, toute vie étant vouée à vieillir puis mourir… Partout, le poète voit les traces de sa jeunesse à jamais perdue (le corps flétrit, les lieux changent, l’arbre a été tronçonné, où sa balançoire était accrochée) et, surtout celles, cruelles comme des échardes, de ceux qui ne sont plus, dont ne restent plus que des contours emplis de vide, de silence et de solitude :

Le glas
De combien d’ans
Les plus vieux du pays
Sont morts
Et pour nous meurent pour toujours
Contre le mur du foyer
Sur les chaises du bar
Sous les marronniers du parc communal
Et dans l’immensité
Qui a toujours des places
Vides
La mort, pourtant, ne triomphe pas. Les souvenirs vécus s’enracinent dans la matière du poème, gravides d’une présence aimée. La caresse des mots prolonge et entretient, avec tendresse, celle de la main sur un corps adoré, qui fusionne avec le nôtre. Dans son exigence de vérité de parole, le poème ne recule pas devant un vocabulaire presque explicite, assumant l’emploi des mots qui ressuscitent la fièvre et la ferveur de ce que le corps ne peut plus assumer. Les poèmes de la partie intitulée « Sanctuaire de chair » m’ont irrésistiblement fait songer à « La nappe au lit », un recueil plus ancien (publié en 2000) de Marcel Migozzi, que Serge Plagnol avait également accompagné d’une suite dans un tirage limité. Ces poèmes énoncent et délimitent un domaine sur laquelle la mort n’a pas de prise, parce qu’il est le privilège des vivants :

Une main touche à du nu
D’amoureuse
La terre monte
Vers son cri de chair
Qui sait ce que promet un corps
Même absent
Qui survit
Dans ce qui passe au souvenir
Ah s’ouvre la vallée des lèvres viens
Et sauve-moi de l’éternel adieu dit-elle

Le jardin est l’autre territoire où la terre exulte son cri de chair. La mort y est bien présente, dans le cycle des saisons, dans le givre qui peut tuer et la lumière du soir qui s’éteint, mais la vie ne cesse d’éclater, dans les fleurs et les oiseaux qui sautillent de branche en branche, aériens et légers comme des « petits dieux » de passage, à la présence chantante, tissant un lien entre terre et ciel… Les fleurs, en grappes bourdonnantes d’abeilles ou à peine écloses, incarnent la beauté parfaite de l’instant saisi dans sa plénitude, comme une sorte d’épiphanie païenne qui nous illumine et nous fait jeter à genoux, que le poème a vertu de saisir, faisant écho à ce qu’Yves Bonnefoy, dans son poème « Dévotion », avait célébré « pour le maintien des dieux parmi nous » :
Près du portail vieux bois, ce buisson de laurier-tin.
Ses fleurs si blanches dans le soir qu’on croit rêver
au paradis sur le talus de pierre. Si lumineusement
blanches  qu’on  croit  à  un  don  de  la  beauté
surnaturelle de la chair. On aimerait s’agenouiller
devant cette présente ardente.
Eric Eliès

Marcel Migozzi, Il restera des étincelles, Tipaza, 2021, 142 p.,


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