Parution le 13 janvier 2022
Extraits de Tous mes chers petits, 1962
" Tous mes chers petits ?
Vous avez dit : tous ? Oh vautour d'enfer ! Tous ?
Quoi, tous mes chers poussins, et leur mère
Fauchés d'un seul coup cruel ? [...]
Je ne peux pas me rappe-
ler que ces être existaient,
Qu'ils m'étaient plus précieux que tout. "
William Shakespeare, Macbeth
(trad. Jean-Michel Déprats, Gallimard, 2014)
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" [...] nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu'un que nous aimerions plus que nous-mêmes, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre dans des forêts loin de tous les chommes, comme un suicide - un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. "
Extrait d'une lettre de Franz Kafka à Oskar Pollak, datant du 27 janvier 1904. Franz Kafka, Correspondance 1902-1924 (trad. Marthe Robert, Gallimard, 1965).
La présente édition réunit les quatre premiers recueils d'Anne Sexton (1928-1977) publiés dans les années soixante,
JEUNE To Bedlam and Part Way Back (1960), All my Pretty Ones (1962), Live or Die (1966) et Love Poems (1969). Icone de la poésie américaine, Anne Sexton est un oiseau rare l'histoire littéraire étasunienne. Autodidacte, elle mène dans un premier temps une vie conventionnelle d'épouse et de mère. Mais ce cadre se fissure rapidement, elle traverse alors une grave dépression nerveuse assortie de pulsions suicidaires qui la conduisent à l'hôpital psychiatrique, où elle fait une rencontre déterminante. Le docteur Martin Orne, se rendant compte du potentiel de sa jeune patiente, l'encourage à écrire. Son premier recueil, To Bedlam and Part Way Back (Retour partiel de l'asile), la place parmi les figures marquantes du confessionnalisme américain incarné par le poète Robert Lowell. Dans un style novateur et transgressif, d'une troublante beauté, Anne Sexton développe des thèmes absents de la poésie de l'époque, tels que les menstruations, l'avortement, le lien matriciel ou un regard féminin sur l'inceste et la psychanalyse. Durant la prolixe période des années 1960, elle publie des ouvrages reconnus par ses pairs comme des chefs-d'œuvre, dont Live or Die (Tu vis ou tu meurs) récompensé par le prix Pulitzer en 1967. Une longue exégèse littéraire féministe reconnaitra à son tour tout l'apport de cette immense poétesse. Les œuvres couvrant la décennie de sa venue à l'écriture paraissent pour la première fois en France, présentées par Patricia Godi, dans cette traduction de Sabine Huynh.
Il y a mille portes de cela
alors que j'étais une gamine solitaire
vivant dans une grande maison
avec quatre garages et que c'était l'été,
aussi loin que je me souvienne,
une nuit j'étais couchée dans l'herbe,
les trèfles se ridaient sous mon corps,
les étoiles sages s'incrustaient au-dessus de moi,
la fenêtre de ma mère était un entonnoir
de chaleur jaune s'épuisant,
la fenêtre de mon père, mi-close,
un œil où passent des dormeurs,
et les planches de la maison
étaient aussi lisses et blanches que de la cire
et un million de feuilles peut-être
naviguaient sur leurs tiges étranges
pendant que les grillons stridulaient en chœur
et moi, dans mon corps tout neuf,
qui n'était pas encore celui d'une femme,
je livrais mes problèmes aux étoiles
et croyais que Dieu pouvait vraiment voir
la chaleur et la lueur colorée,
des coudes, des genoux, des rêves, bonne nuit.
(p. 140)
(NDLR, A thousand doors ago
when I was a lonely kid : version originale et analyse, en anglais, de ce poème)
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VIEILLE
J'ai peur des aiguilles.
Je suis lasse des draps et des tuyaux en caoutchouc.
Je suis lasse des visages que je ne connais pas
et maintenant je pense que la mort s'est enclenchée.
La mort s'enclenche comme un rêve,
rempli d'objets et du rire de ma sœur.
Nous sommes jeunes et nous nous promenons
en cueillant des bleuets
jusqu'à Damariscotta.
Oh ! Susan, s'est-elle exclamée
tu as taché ton nouveau bustier.
Goût sucré
- ma bouche si pleine
et le jus bleu et mielleux coulant
jusqu'à Damariscotta.
Qu'est-ce que tu fais ? Laisse-moi tranquille !
Ne vois-tu pas que je suis en train de rêver ?
Dans les rêves, on n'a jamais quatre-vingt ans.
(p. 167
(NDLR, I'm afraid of needles.
I'm tired of rubber sheets and tubes : version originale de ce poème)
Anne Sexton, Tu vis ou tu meurs, œuvres poétique (1960-1969) d'Anne Sexton, traduction de l'anglais (Etast-Unis) de Sabine Huynh, préface de Patricia Godi, Editions des Femmes Antoine fouque, 2022, 320 p., 24 €
sur le site des éditions :
Figure majeure de la poésie américaine, Anne Sexton (1928- 1974) est l'autrice d'une œuvre poétique composée de plus d'une dizaine de recueils précurseurs. Ses poèmes explorent des thèmes aussi divers que l'enfermement psychiatrique, la féminité et le corps, le désir, l'enfantement, la famille, l'amour, l'écriture... thèmes qu'elle partage avec Sylvia Plath, dont elle est proche. Récompensée par le prix Pulitzer en 1967, elle se voit décerner des titres honorifiques dans de nombreuses universités, telles que Harvard, Colgate ou encore Boston. Rattrapée par ses maux, elle met fin à ses jours en 1974.
Sur le livre :
Prix Pulitzer en 1967, Tu vis où tu meurs est reconnu comme un chef-d'œuvre.
" Si l'exploration des liens de parenté occupe une place centrale dans la poésie d'Anne Sexton, sa nouveauté réside aussi, fondamentalement, dans la venue à l'écriture de l'autre relation qui a interrogé la psychanalyse, à laquelle la culture androcentrée s'est généralement peu intéressée, contrairement à la relation entre père et fille, entre père et fils, mère et fils : la relation des mères et des filles. Dès lors que le sujet lyrique se situe en tant que fille dans nombre de poèmes, de même qu'en tant que génitrice, l'œuvre entreprend doublement de pallier le silence qui a entouré les généalogies féminines " P.G.
Les quatre recueils présents dans cette édition sont traduits pour la première fois en français par Sabine Huynh, qui a fait de la traduction de l'œuvre d'Anne Sexton un projet de vie. Un cinquième recueil, intitulé Transformations, sera publié prochainement.
" Chaque être en moi est un oiseau.
Je bats toutes mes ailes.
Ils voulaient te retrancher de moi
mais ils ne le feront pas.
Ils disaient que tu étais infiniment vide
mais tu ne l'es pas.
Ils disaient que tu étais si malade que tu agonisais
mais ils avaient tort.
Tu chantes comme une écolière.
Tu n'es pas déchirée. "
A. S., Pour fêter ma matrice
Extrait du prière d'insérer :