Abstention, piège à cons

Publié le 30 décembre 2021 par Jean-Emmanuel Ducoin

Ne pas voter, à l’évidence, signifie soit nourrir le système libéral, soit créditer les extrêmes droites qui profitent du confusionnisme ambiant et de la crise des institutions.

«La démocratie, c’est ce qu’il reste de la République quand la lumière s’éteint», assure le philosophe ­Régis Debray. À quatre mois d’une échéance électorale décisive, nous continuons d’observer le corps social en parodie, à l’agonie, qui insiste et s’acharne à nous inquiéter. Le tertre piétiné de la citoyenneté est là, sous nos yeux, et nous ne savons ce qu’il adviendra de la présidentielle, sans parler des législatives, deux rendez-vous hantés par le pire des spectres: celui de l’abstention.

Les derniers scrutins ont sonné l’alarme. La désertion des urnes lors des régionales et des départementales, en juin, a atteint un record historique sous la Ve République (hors référendum). L’abstention reste le premier «parti» de France, singulièrement dans les classes populaires et chez les jeunes, lesquels ont boudé à 90%… Depuis, impossible de ne pas échapper à un débat, une tribune, des enquêtes et des chiffres annonciateurs de catastrophes. Des taux de participation aussi faibles et récurrents laissent à penser que notre démocratie – très malade – bascule peu à peu dans ce que nous pourrions nommer une «République de l’abstention», aux conséquences désastreuses.

Abstention, piège à cons! Car ne pas voter, à l’évidence, signifie soit nourrir le système libéral, soit créditer les extrêmes droites qui profitent du confusionnisme ambiant et de la crise des institutions, littéralement à bout de souffle. La monarchie républicaine a non seulement organisé l’irresponsabilité des dirigeants en leur octroyant le pouvoir suprême de mettre en péril nos biens communs, mais elle a également écarté les citoyens du processus de décision politique. La confiance semble rompue, expliquant en grande partie l’accélération du désenchantement du bulletin de vote au risque d’un séparatisme civique de grande ampleur.

Rien n’est pourtant écrit, ni fatal. À condition de retrouver le chemin du développement démocratique – une VIe République – à partir des réelles préoccupations des Français et des valeurs collectives de justice et d’émancipation. Les penseurs progressistes, les syndicats et les forces de gauche prônant les Jours heureux ont un énorme rôle à jouer pour éviter le pire, alors qu’un dispositif politique pensé en haut lieu est mis en place pour sauver le capitalisme financier et empêcher toute alternative de transformation sociale. 

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 30 décembre 2021.]