Ainsi donc, les douceurs hérissées de ce début janvier annoncent déjà des froideurs coupantes pour les plus démunis. Salauds de pauvres: voilà à quoi se résume la pseudo-«revalorisation» du Smic pour la nouvelle année, cadeau amer d’un pouvoir exécutif à mille lieues des préoccupations véritables. Alors que les prix continuent de grimper allègrement et que l’inflation s’affiche à près de 3% en 2021, la hausse automatique du salaire minimum a été fixée à 0,9%. Pas de «coup de pouce». Juste une aumône, qui constitue une fois encore un scandale. Doublé d’une honte: pas un mot d’Emmanuel Macron sur le sujet, lors de ses vœux aux Français. Plus grave, à en croire le chef de l’État, la France se porterait mieux qu’il y a un an, deux ans. Mais de quoi parle-t-il, en dressant un bilan panégyrique «à la cavalcade», tentant benoîtement de dessiner un paysage surréaliste d’«optimisme» et de «tolérance» qui tranche tant et tant avec celui qu’il nous propose depuis cinq ans?
Ah, si ! le prince-président, tout hors-sol soit-il, a des lettres, et il le montre solennellement: «Pour ma part, quelles que soient ma place et les circonstances, je continuerai à vous servir. Et de la France, notre patrie, nul ne saura déraciner mon cœur.» À en croire la dernière expression, M. Macron a lu l’Étrange Défaite, de Marc Bloch. Nous aussi. L’historien français et résistant, torturé puis massacré par la Gestapo en 1944, écrivait également: «Tout malheur national appelle d’abord un examen de conscience.» Non, la France ne se porte pas «mieux» en 2022, et inutile d'imaginer, comme en 1940, que nous disposons de la meilleure armée au monde, avant d’assister à son effondrement, pour comprendre que la crise et toutes les crises que nous traverserons ici-et-maintenant devraient être l’occasion d’une épreuve de vérité. Pour regarder les choses en face.
Car, pendant qu’une grande partie de nos concitoyens crèvent de ne pas boucler les fins de mois, de ne pas se chauffer et de ne pas manger dignement, toute la presse économique vient de sabrer le champagne unanimement. Le CAC 40 a achevé 2021 sur une progression de près de 30%, du jamais-vu depuis plus de vingt ans. Les 500 plus grandes fortunes françaises détiennent désormais 47% du PIB national, contre 6% il y a vingt-cinq ans. Une étrange défaite, assurément. Mais pas pour tout le monde…
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 3 janvier 2022.]