Enfin s'achève cette longue et inénarrable année, durant laquelle je vous souhaite d'avoir su faire le deuil d'un retour à la normale qui ne saurait plus advenir. Trop de proches ont déménagé, loin parfois, osant enfin expérimenter habitat partagé ou tiny house. Bien des collègues ont quitté Paris, invitant ensuite à travailler chez elleux au vert, laissant présager de nouvelles modalités de coworking. Même si j'ai la chance d'exercer dans une entreprise agréable (de nouveau primée Best Workplaces cette année), je n'échappe pas à l'épuisement général, après tant de mois de télétravail que c'est désormais l'ordinaire et que j'ai cessé de les compter, avec la difficulté inhérente de préserver l'équilibre entre vie perso et pro, d'autant plus après ce maudit couvre-feu qui a anéantit toute vie sociale. Tandis que certains sont passés au vélo, au végétarisme, à la permaculture, ou ont même changé de métier, d'autres font tout simplement de leur mieux pour tenir bon malgré les addictions ou le surmenage que l'isolement sanitaire a accentués.
C'est toute notre cartographie relationnelle et territoriale que la pandémie a bouleversé. Toutes nos habitudes. Définitivement. Un équilibre de vie à reconstruire.
Lasse, je n'avais, comme beaucoup, rien prévu pour fêter l'année nouvelle et, m'en remettant au hasard, j'ai finalement passé le meilleur réveillon qui soit, avec une projection intimiste du film Déni cosmique (Don't Look Up), satire qui dépeint l'absurdité de notre monde si bien qu'il parvenait, de façon inattendue, à me réconforter : enfin un film catastrophe hollywoodien qui, évitant les sempiternelles happy end, ne nous ment pas ! Si vous ne l'avez pas déjà vu [1], je vous le recommande : idéal pour remettre les yeux en face des trous en ce début d'année. Ça ne vaut pas Idiocracy, film anticipant le triomphe de la bêtise, mais moins dystopique et d'autant plus terrifiant de réalisme, c'est « une critique réussie de la montée du relativisme, du cynisme et de l'apathie qui gangrènent le monde » (Nicolas Dufrêne, Usbek & Rica) qui n'oublie pas d'épingler notre fascination numérique et ses chantres technobéats.
Car au bêtisier de l'année nous avons eu nombre d'incendies et de canicules dans les zones tempérées, tellement d'ouragans que les météorologistes sont à court de noms pour les désigner, mais un rapport du GIEC passé inaperçu, éclipsé par une anecdotique actualité sportive. Nous avons enfin un vaccin, mais une politique sanitaire si déplorable que, par légitime défiance mais hélas trompés par d'autres charlatans, certains s'opposent maintenant à ce qui pourrait les épargner, ce qui n'aplatit toujours pas la courbe des contaminations (plus de 200 mille par jour), des morts ni des covid longs…
Détrompez-vous, ce n'est pas tant la possibilité d'une apocalypse qui m'angoisse, ni même cette pandémie qui participe sans doute de notre effondrement annoncé. Réchauffement climatique ou covid m'effraient bien moins que notre incapacité à y faire face collectivement, que l'absurdité du monde qui nous englue dans sa gorafisation.
Plus que tout, je vous souhaite d'avoir la souplesse adaptative nécessaire pour survivre à l'absurdité du monde actuel. Je nous souhaite de n'avoir plus peur de notre finitude, certaine en tant qu'individu mortel, mais aussi désormais probable en tant qu'espèce. De dépasser la stupeur pour pouvoir appréhender la réalité de cette perspective et agir enfin en conséquence : nous tourner vers la réaction collective comme celle décrite par @legrugru, entendre et relayer l'alerte des scientifiques, comme la jeunesse déjà en mouvement, notamment derrière Greta Thunberg, en commençant par dégager les bonimenteurs qui prétendent nous gouverner. Ça tombe bien, une élection présidentielle arrive dans 100 jours (« et les candidat·es n'ont toujours pas eu à répondre à la question de comment ils et elles comptent agir face au désastre climatique qui nous menace » pointe @CeliaGautier).
Le plus marquant à mes yeux est la prise de conscience environnementale et sociale qui infiltre le monde du travail, plus rapidement que les sphères médiatiques et politiques. J'en veux pour signe, dans mon champ d'action, l'explosion de la demande d'accessibilité numérique sur l'année écoulée, littéralement multipliée par dix, me conduisant à former plus de 170 personnes, un record à mon échelle. M'étonne plus d'être exténuée… L'intérêt pour une informatique durable croît de même. Au point que mon entreprise redéfinisse carrément ses objectifs pour se consacrer au « numérique responsable », c'est-à-dire respectueux de la planète et ses habitant·es, c'est-à-dire éco-conçu, plus frugal, inclusif, accessible, etc. avec l'ambition, après sa récente certification BCorp, de produire conformément non seulement au RGPD, mais aussi au RGAA et au nouveau RGESN, en contribuant aux objectifs de développement durable définis par l'ONU.
À lire vos témoignages de fin d'année sur les réseaux sociaux, je compatis et suis soulagée d'avoir échappé aux sujets qui ont gâché les repas de famille : ni Zemmour, ni lae covid, ni pro-anti-vax… J'ai donc envie de vous partager une de nos habitudes familiales : dès qu'un mot surgit dans la conversation qui n'est pas compris de tous et toutes — n'oublions pas les enfants — nous suspendons tout verbiage pour en chercher la définition, autrefois dans l'encyclopédie, unique livre présent au salon, désormais dans nos smartphones, merci Wikipédia. Ce jeu a le mérite de porter notre attention par delà le brouhaha des rumeurs du monde, nous épargnant ses ragots délétères tout en maintenant la curiosité en éveil. Parmi les mots ainsi (re)découverts : estacade, escarbilles, nutcracker, amour en cage, Laponie, décollation, lot, cardigan, coloquinte… et je vous laisse, en exercice oulipien [2], imaginer les propos qui ont vu ces mots surgir ;)
En 2022, je nous souhaite de savoir maintenir les liens malgré les distances, géographique, sociale et sanitaire, de regarder l'avenir en face et de provoquer les occasions de se réjouir ensemble. Look up !
[1] Cadeau de Noël empoisonné (sorti le 24 décembre), le film Don't Look Up (d'Adam McKay) cartonne : en seulement 11 jours, c'est devenu le 3e film le plus regardé de l'histoire de Netflix, numéro 1 dans 94 pays. Et crée la tendance, le hashtag #DontLookUp étant utilisé pour mettre à l'index les situations réelles de déni ou de mensonge, nous invitant à ne plus détourner le regard. Que voir après ça ? Le Monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique, BD de Blain et Jancovici est une lecture essentielle pour commencer l'année.
[2] Si vous vous prenez sérieusement au jeu (appelé logo-rallye), n'hésitez pas à partager vos exercices oulipiens en commentaire ! En rapport ou pas, vous pouvez aussi m'envoyer une carte par voie postale : ça me ferait grand plaisir et je vous répondrai de même :)