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Le Lac aux demoiselles et autres nouvelles, de C.F. Ramuz

Publié le 03 janvier 2022 par Francisrichard @francisrichard
Le Lac aux demoiselles et autres nouvelles, de C.F. Ramuz

Ces nouvelles tardives de Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947) ont été écrites entre 1943 et 1947. Elles n'ont pas toutes paru de son vivant. Largement méconnues, elles méritaient d'être réunies dans ce recueil révélateur.

Ces textes ne racontent pas des histoires complètes. Ce sont des aperçus de l'existence, des fragments, mais, rassemblés en ce volume, ils donnent bien la vision qu'en avait l'auteur, faite de joies et de peines, de rêves et de réalités:

Ils sont un garçon et une fille. La nuit vient. Le creux où se tient le village se remplit d'ombre. Et il semble que le vent, en passant, prenne un peu dans sa main de cette ombre et la jette sur la pente: on la voit courir vers vous comme une fumée, elle vous vient dessus, on est pris dedans.

(Pastorale)

Au soir de sa vie, l'écrivain vaudois, malade, s'y montre quelque peu lugubre, mais, de par son style lumineux, qui parle à l'imagination, il ne l'est jamais complètement, surtout quand il évoque avec délicatesse des figures féminines:

Un dernier rayon de soleil, à ce moment, est entré par la fenêtre; elle a été éclairée ou si c'est elle qui éclairait? Pendant qu'elle tire à elle l'escabeau, pendant qu'elle s'est assise, et elle me fait face, et je la vois. Elle n'a rien dit, on ne lui a rien dit; simplement elle a été là, mais toutes choses ont été changées; elle faisait soleil quand l'autre soleil nous quittait.

(Irène)

Ces femmes sont évanescentes. Les hommes chez Ramuz semblent incapables de les saisir, au sens propre et au sens figuré. Elles leur échappent toujours quand ils sont sur le point de les rejoindre ou qu'elles leur semblent acquises:

Oh! charmante: c'est comme ça que je te parlerais avec bruit à l'oreille, si je pouvais seulement te parler. Mais les seuls mots que je peux te dire avortent dans ma bouche et ne franchissent pas la barrière des lèvres; c'est des mots de silence, est-ce qu'ils comptent seulement?

(Amour)

Dans plusieurs de ces quinze nouvelles, il est question de la mort comme il se doit, c'est-à-dire de manière naturelle, même lorsqu'il s'agit d'accident ou de mort volontaire, par noyade ou pendaison. Car elle fait partie de la vie:

Il était descendu dans l'eau sur le côté opposé de la jetée. On a entendu le bruit qu'il faisait en avançant dans l'eau. Il devait glisser, il se retenait, il faisait un bruit comme quand un cygne bat des ailes, puis on a entendu un bruit de gargouillement, et puis un cri, alors je suis revenu en arrière; on a encore vu sa tête qui dépassait pendant qu'il battait l'eau comme pour s'y accrocher, mais elle a cédé, elle s'est refermée.

(Le Retour du mort)

Le mot auquel ces nouvelles font penser, d'une manière ou d'une autre, est séparation, de ceux qui devraient s'aimer, de ceux que les autres n'aiment pas assez pour les comprendre, de ceux qui s'aiment et se retrouvent désunis, défaits:

À peine t'ai-je quittée que la distance qui était entre nous s'accroît démesurément, comme quand un bateau s'éloigne de la rive et la rive elle-même fuit en arrière; soudés ensemble par le corps, tellement éloignés pour finir l'un de l'autre; et l'amour n'est plus entre nous qu'une morne répétition.

(Le Ménage Charton)

Francis Richard

Le Lac aux demoiselles et autres nouvelles, C.F. Ramuz, 256 pages, Zoé

Du même auteur chez Zoé:

Les Signes parmi nous (2020)

Adam et Ève (2020)

A l'Aire Bleue:

Vendanges (2020)

La Séparation des races (2020)


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