" Vous n'avez pas le droit d'être violent contre les maires, les députés et le Président, aussi parce que vous pouvez les changer à chaque échéances. " (Emmanuel Macron, "Le Parisien", le 4 janvier 2022).
Avertissement : dans cet article, j'userai d'un verbe et de ses dérivés dont on dit qu'ils sont vulgaires. Comme ils concernent maintenant un vocabulaire présidentiel préélectoral, je me permettrai d'en user également à tort et à travers (j'éviterai toutefois de recommencer !). Et ce verbe, c'est emmerder.
Il y a eu une seconde suspension de l'examen du projet de loi sur le passe vaccinal (j'y reviendrai) dans la nuit du 4 au 5 janvier 2022 à l'Assemblée Nationale : si la première suspension, la nuit précédente, a été la conséquence conjointe d'un amateurisme des députés de la majorité et d'une manœuvre politicienne des députés de l'opposition, cette suspension a été, elle, provoquée par des propos provocateurs du Président de la République Emmanuel Macron, interrogé par sept Français pour une longue interview publiée dans "Le Parisien", rendue publique sur Internet le mardi 4 janvier 2022 à 20 heures 46.
Le moins qu'on puisse dire, et je le regrette, comme semble le regretter l'ancien Premier Ministre Édouard Philippe sur France 2 le lendemain, c'est que le naturel revient parfois au galop. Malgré son introspection du 15 décembre 2021 (sur TF1 et LCI) sur les mots qui ont fâché ou qui ont choqué, Emmanuel Macron s'est de nouveau lâché en toute conscience.
Pour quelle raison ? Je ne sais pas. Soit parce qu'il croit pertinent (pas moi) de parler un français vulgaire avec des citoyens de tout horizon qu'ils rencontrent (c'était le cas puisque ce n'étaient pas des journalistes qui l'interrogeaient), et dans ce cas, c'est une grande condescendance, même les gens du peuple peuvent comprendre un langage châtié. Soit parce qu'il veut exprimer de la colère, une colère froide et réfléchie, contre les personnes qui ne sont pas (encore) vaccinées. Soit enfin par provocation politique, au même titre que l'histoire du drapeau européen sous l'Arc de Triomphe à Paris au Nouvel an, incitant ses opposants à vociférer stérilement et plaçant le débat sur ses thèmes voulus (l'Europe, la vaccination). Ou alors, il y a un peu des trois.
Je pense que globalement, c'est une erreur à court terme, ne serait-ce que sur son effet sur le débat parlementaire, mais cela peut être électoralement payant sur du long terme, montrant qu'il est offensif, n'hésitant pas à montrer ses "envies" et ses "colères", renonçant à quémander le vote auprès des 5 millions de Français qui ne sont pas (encore) vaccinés et défendant ceux qui, en revanche, sont aussi en colère contre eux. Je pense que c'est regrettable car un Président de la République doit unir et pas diviser, qu'il doit rassembler tout le monde et même ceux qui vont dans le décor.
De plus, je pense que c'est une erreur de cibler toutes les personnes non-vaccinées, certaines ont été convaincues entre-temps (plusieurs dizaines de milliers par jour) et en les prenant à rebrousse-poil, il n'aide pas dans le travail lent de persuasion des proches ou des soignants. Par exemple, grands sportifs et sans comorbidité, les frères Bogdanoff avaient peur des effets secondaires du vaccin à ARN messager, mais ils n'étaient pas du tout antivax, ils voulaient attendre le vaccin classique développé par l'Institut Pasteur (qui n'arrive pas !). Le ciblage du Président aurait dû être plus fin, concentrer sa colère contre les seuls antivax, une ultraminorité qui a une grande influence parmi les personnes qui ne sont pas encore vaccinées et qui diffuse des mensonges et des fausses informations à longueur de messages sur les réseaux sociaux. Et pas contre les personnes non-vaccinées influençables qui sont plutôt leurs victimes (et dont beaucoup sont mortes de ne pas avoir été vaccinées).
Cela dit, en trois mois (car le premier tour de l'élection présidentielle est dans trois mois !), beaucoup d'eau et de déclarations auront eu le temps de passer sous les ponts, il ne faut donc pas surestimer l'importance de ces propos, d'autant plus qu'Emmanuel Macron n'a pas dit que cela dans une interview de deux heures et quart.
Ce propos introductif étant écrit, je voudrais quand même rappeler que le message principal d'Emmanuel Macron était plutôt le contraire de ce qu'on lui reproche, et le verbe emmerder a déjà été utilisé par un autre Président de la République, Georges Pompidou, qui disait qu'il fallait arrêter d'emmerder les Français, il s'exprimait néanmoins comme Premier Ministre (il me semble), à propos de la sécurité routière (et peut-être des démarches administratives). Emmanuel Macron a voulu dire d'abord ceci : je ne veux pas emmerder les Français avec la crise sanitaire.
Alors, reprenons exactement ses propos, car ils méritent d'être lus dans leur intégralité. Il répondait à une citoyenne inquiète de l'issue du nouveau conseil de défense sanitaire du 5 janvier 2022. La réponse présidentielle était la suivante : " On reste dans la direction qui est donnée en cette rentrée de prudence. Au fond, la ligne est simple : c'est vaccination, vaccination, vaccination, et passe vaccinal. (...) L'idée, c'est de mettre beaucoup de contrainte sur les non-vaccinés et, collectivement, de respecter les gestes barrières. ".
Et un peu plus tard, Emmanuel Macron a enfoncé le clou : " En démocratie, le pire ennemi, c'est le mensonge et la bêtise. Nous mettons une pression sur les non-vaccinés en limitant pour eux, autant que possible, l'accès aux activités de la vie sociale. (...) C'est une toute petite minorité qui est réfractaire. (...) On la réduit, pardon de le dire comme ça, en l'emmerdant encore davantage. Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français. Je peste toute la journée contre l'administration quand elle les bloque. Eh bien, là, les non-vaccinés, j'ai très envie de les emmerder. Et donc, on va continuer de le faire, jusqu'au bout. C'est ça, la stratégie. Je ne vais pas les mettre en prison, je ne vais pas les vacciner de force. Et donc, il faut leur dire : à partir du 15 janvier, vous ne pourrez plus aller au restau, vous ne pourrez pus prendre un canon, vous ne pourrez plus boire un café, vous ne pourrez plus aller au théâtre, vous ne pourrez plus aller au ciné... ".
Puis, Emmanuel Macron s'est encore emporté encore contre les non-vaccinés en évoquant les places en réanimation, en insistant sur son refus de "tri des malades" : " Nous ne sommes pas aujourd'hui dans une situation où nos services d'urgence ne peuvent pas accueillir tous les patients. Moi, ma responsabilité, c'est que le pays ne se désunisse pas dans ces débats-là. Le fait même que l'on pose la question du refus de soin pour des gens non-vaccinés est un drôle de virus. Et ça, c'est l'immense faute morale des antivax : ils viennent saper ce qu'est la solidité d'une nation. Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens irresponsable. Un irresponsable n'est plus un citoyen. ". On lui reprochera aussi cette dernière phrase qui n'a pas beaucoup de sens, sinon de la colère, mais pour des propos relus (selon Olivier Beaumont, l'un des journalistes en charge de ces entretiens, " l'interview a été relue par l'Élysée, mais il n'y a eu aucune retouche. "), les émotions ne sont pas en jeu.
Le message est donc clairement concentré sur le refus des personnes non-vaccinées à se faire vacciner. Ce n'est pas une lubie macronienne, c'est une réalité sanitaire. La France est plongée dans une double vague, celle du variant omicron (dont on parle beaucoup et qui explose) mais aussi, celle du variant delta qui n'est pas redescendue (on est au sommet du pic delta) et qui focalise toute l'attention dans les services de réanimation.
Cette colère, elle est aussi la conséquence du nouveau record de la journée du mardi 4 janvier 2022 : 271 686 nouveaux cas pour cette seule journée, avec un record du taux de positivité (16,8% au 1 er janvier 2022 ; ce n'est donc pas l'augmentation du nombre de tests qui explique l'augmentation exponentiel du nombre de cas détectés, mais bien la réalité épidémique), un taux d'incidence de 1 930 personnes contaminées en sept jours pour 100 000 habitants (soit 1,3 million de Français contaminés cette dernière semaine !). C'est aussi 20 186 personnes hospitalisées (soit 2 881 de plus en un jour) dont 3 665 admis en réanimation (soit 460 de plus en un jour), autant de place dont les patients atteints d'autres pathologies, parfois graves, ne pourront pas bénéficier, et aussi 297 décès à l'hôpital rien que pour la journée d'hier (351 en comptant aussi les décès dans les EHPAD et assimilés). Et ce sont très majoritairement des personnes non-vaccinées qui occupent ces lits de réanimation (j'y reviendrai), c'est-à-dire que ces tragédies humaines et sanitaires pourraient être évitées par la vaccination.
C'est cette colère que véhicule le Président de la République, fort du soutien de plus de 91% des personnes de plus de 12 ans qui ont accepté la vaccination. D'ailleurs, les réactions à ses déclarations polémiques sont partagées. Pour les oppositions politiques, c'est un scandale, posture prévisible et qui peut être confortable à quelques semaines de l'élection (même lorsqu'on est d'accord avec la politique du gouvernement, c'est le cas de Valérie Pécresse : " J'ai été indignée par ses propos (...). Ce n'est pas au Président de choisir les Français, il faut arrêter ce quinquennat du mépris. "). Mais pour les professionnels de la santé, ses déclarations sont complètement compréhensibles et reflètent même le sentiment de bien des médecins hospitaliers. Ainsi, le professeur Éric Caumes a déclaré sur BFM-TV le 5 janvier 2022 : " Le médecin comprend ce dérapage, probablement contrôlé. ".
Emmanuel Macron a pour autant confirmé qu'il n'était pas question de rendre la vaccination obligatoire, qu'il n'y aurait évidemment aucun tri de malades et certainement pas entre vaccinés et non-vaccinés, et qu'il n'y aurait pas de nouvelles mesures supplémentaires de restriction prévues à ce jour. À ceux qui veulent l'obligation vaccinale (dont les socialistes), Emmanuel Macron a répondu : " Comment on le contrôle et quelle est la sanction ? C'est ça, le vrai sujet. Je vais forcer des gens à aller se faire vacciner ? Les emprisonner et puis les vacciner ? Vous allez me dire : "vous êtes quelqu'un de bizarre, vous...". On ne fera pas ça. Leur mettre des amendes ? Si j'ai des gens très modestes qui ne sont pas vaccinés, je vais leur mettre 1 000 euros, 2 000 euros, d'amende ? ".
Pour être mieux compris, au lieu de dire : "J'emmerde les non-vaccinés", Emmanuel Macron aurait plutôt dû dire : "Les non-vaccinés m'emmerdent, en tant que chef de la Nation et garant de la protection de la santé des Français". Dans son compte-rendu du conseil des ministres du 5 janvier 2022, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a dit exactement la même chose : " Le Président veut aller au bout de notre travail, pour que les Français soient tous vaccinés. ". Il a ajouté : " Les propos du Président me semblent très en deçà de la colère de la majorité des Français. ". Et de poser la question crûment : " On va se parler franchement. Qui emmerde la vie de qui aujourd'hui, qui empêche la vie de reprendre ? ". En approuvant les propos présidentiels sur l'irresponsabilité et le citoyen : " S'opposer à la vaccination, c'est s'écarter de la citoyenneté. ".
Gabriel Attal a répété une fois de plus la raison de cette volonté de vacciner tout le monde : " La dose de rappel du vaccin prévient près de 90% des formes graves, y compris vis-à-vis d'omicron. ". Et il a expliqué pourquoi il n'y a pas d'obligation vaccinale : le but est d'arriver à avoir la plus large couverture vaccinale. Or, dans les pays qui ont décidé d'appliquer l'obligation vaccinale, il n'y a pas eu d'augmentation des vaccinations. Au contraire, en France, après l'annonce du passe sanitaire (le 12 juillet 2021) et l'annonce du passe vaccinal (le 17 décembre 2021), il y a eu une forte augmentation des primovaccinations. C'est donc efficace. C'est le seul souci du gouvernement.
Emmanuel Macron est aussi revenu sur la polémique du drapeau européen en évoquant la réaction d'indignation de l'opposition de droite et d'extrême droite : " Cette réaction était disproportionnée et malvenue. Si nous avions retiré le drapeau français, j'aurais pu comprendre. Or le drapeau français est présent lors des cérémonies patriotiques, comme le 8 Mai, le 11 Novembre, le 14 Juillet. Mais si vous passez un jour comme aujourd'hui sous l'Arc de Triomphe, il n'y a pas de drapeau. Ce qui a été fait le 31 décembre au soir et le 1er janvier a été de marquer cette entrée dans la Présidence française de l'Union, en inscrivant notre drapeau européen, car il est aussi le nôtre. Là où il n'y avait rien, nous avons mis le drapeau européen. Donc, c'était une mauvaise polémique. Ce drapeau européen, j'en suis fier. Il faut l'assumer car c'est un symbole de paix. (...) Nos générations n'ont jamais connu la guerre. J'aime l'Europe parce que c'est un projet de paix. ".
Le Président de la République a d'ailleurs évoqué les perspectives de la construction européenne (sur la Santé, sur les réfugiés, sur l'imposition des GAFA, sur une industrie de défense européenne, sur le nucléaire, etc.) et a confirmé son opposition à l'adhésion de la Turquie à l'Europe : " Mais je souhaite qu'elle ait des liens avec notre Europe parce que c'est ce qui l'arrime à nos valeurs et ce qui évite qu'elle dérive encore plus. ".
Sur le plan économique, Emmanuel Macron a fermement défendu sa politique d'aide à l'activité économique en période de crise sanitaire : " Le quoi qu'il en coûte, c'est 15% du PIB. Le coût sur l'ensemble de l'économie, si on ne l'avait pas fait, serait monté à 45% du PIB. Grâce à nos mesures, on ressort avec un chômage qu a baissé et une croissance historique, donc c'était un bon choix. ". Il a par ailleurs exclu toute augmentation des impôts (" tant que je serai dans mes fonctions ").
Après beaucoup d'autres sujets (dont le glyphosate, la drogue et la laïcité), Emmanuel Macron a été bien sûr interrogé sur son éventuelle candidature : " Si je m'exprime aujourd'hui, quelle va être ma capacité à gérer le pic d'une crise sanitaire ? En tout cas, est-ce que je continue à avoir des ambitions, des rêves et des volontés pour mon pays ? Oui. (...) Cette décision se consolide en mon for intérieur. J'ai besoin d'être sûr d'être en capacité d'aller aussi loin que ce que je veux. ". Pour finir par lâcher : " Il n'y a pas de faux suspense. J'ai envie. (...) J'ai toujours été libre, c'est ce qui m'a permis de faire. ".
Au moins, c'est clair, certaines personnes bien informées veulent même croire que le Président ne souhaite pas que sa déclaration de candidature soit un événement mais une évidence qui, chaque jour, s'accroît. Pourtant, à force de faire dépendre son calendrier politique du calendrier sanitaire, le maître des horloges pourrait prendre beaucoup de retard, car avec un tel pic qui devrait être au sommet vers la troisième semaine de janvier dans le meilleur des cas (Gabriel Attal a confirmé ce midi : " La lutte contre l'épidémie est loin d'être terminée. (...) La hausse supersonique des contaminations va se poursuivre plusieurs semaines. "), il ne lui restera plus beaucoup de temps pour faire campagne. Le premier tour de l'élection présidentielle est le 10 avril 2022. L'an dernier à la même époque, nous étions encore en pleine troisième vague.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 janvier 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La loi de l'emmerdement maximal et Emmanuel Macron.
Vœux d'Emmanuel Macron : protéger les Français et renforcer la France par l'Europe.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 31 décembre 2021 à Paris (texte intégral et vidéo).
Introspectif et tourné vers l'avenir, Emmanuel Macron justifie (presque) tout.
Emmanuel Macron l'Européen, Président jusqu'au bout.
La France d'Emmanuel Macron.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 9 novembre 2021 à Paris (texte intégral et vidéo).
COP26 : face à l'alarmisme, le leadership mondial d'Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron, l'homme qui valait 30 milliards.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220104-macron.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-loi-de-l-emmerdement-maximal-et-238443
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/01/05/39290546.html