Depuis quelques années, les éditions Rivages republient dans de nouvelles traductions l'œuvre si singulière de Shirley Jackson. J'avais donc hâte de découvrir Hangsaman, d'autant plus que ce roman, publié aux États-Unis en 1952 est inédit en France.
Lire Shirley Shirley Jackson, c'est marcher aux frontières du réel, accepter de ne pas savoir où l'on met les pieds, d'être dans une position inconfortable de lecture. Tout en se disant : mais comment fait-elle pour insuiner de manière si subtile et brillante ce malaise en vous ? Si La maison hantée ou Nous avons toujours vécu au château sont du registre fantastique et dans une veine gothique, il n'en est rien dans Hangsaman.
Nathalie a 17 ans, c'est la fin de l'été et elle vit ses derniers jours dans sa famille avant d'intégrer une université prestigieuse que son père, qui règne en maître sur les membres de la famille, a choisi pour elle. Avec son frère, ils n'ont pas d'autre choix que de subir les déjeuners amicaux de leurs parents et de jouer les enfants modèles. De nature introvertie, Natalie est donc très polie avec les invités. Elle tente de se montrer à la hauteur du monde des adultes qu'elle dissèque dans son esprit. Mais dès les premières pages, la tension est là, et on ne sait pas si l'événement traumatique qu'elle nous raconte s'est vraiment déroulé. Et ce n'est que le début...
Une fois à l'université, sa liberté et son indépendance nouvelle pourraient lui donner l'occasion de s'ouvrir aux autres. Mais rapidement, elle se sent décalée, différente, préférant observer ses congénères féminines. Et surtout se réfugier da ns ses ruminations et son imagination féconde. Bientôt elle glisse dans une autre réalité, floue, trouble et inquiétante.
Quelle lecture à la fois éprouvante et jubilatoire ! Shirley Jackson explore habilement l'entrée d'une jeune adolescente dans le monde des adultes et dans celui de sa féminité, d'une manière très originale et immersive. Le lecteur vit ses épreuves, ses cauchemars, ses peurs avec intérêt et surprise.
C'est vraiment un roman étrange, déconcertant, profond, auquel je repense souvent depuis, ce qui pour moi est très bon signe. Une fois le livre refermé, je ne savais pas si j'avais aimé ou non. Il m'a fallu des semaines avant de m'apercevoir que ce roman m'avait davantage marqué que je ne l'aurais cru. Je pense qu'il ne manquera pas de laisser des traces et des interprétations multiples et changeantes chez son lecteur. C'est un roman que j'aurais plaisir à relire. Je ne serais pas surpris, alors, de le percevoir différemment et de le trouver encore meilleur qu'à sa première lecture.
Hangsaman- Shirley Jackson- traduction de l'américain par Fabienne Duvigneau - Rivages/Noir- 2021.