Vers l’Aéroport de demain
Thomas Juin, président de l’Union des Aéroports Français (UAF) interviewé par AeroMorning, le 13 Décembre 2021.
AeroMorning : Comment se porte actuellement le trafic sur les aéroports français dans le contexte de pandémie Covid?
Thomas Juin : La crise sanitaire a encore fortement pesé en 2021 sur le trafic. On sera sur les aéroports français entre -60 et -65% par rapport à 2019.
AeroMorning : Quand un retour à la normale est-il envisagé ou espéré par les aéroports de France et la filière du transport aérien?
Thomas Juin : Il est délicat de le savoir. Tout dépend des nouvelles vagues épidémiques à venir.
La différence majeure avec l’année 2020 c’est qu’en 2021 on a assisté à une remontée ininterrompue du trafic depuis juillet. Les perspectives sont bien plus positives grâce au passe sanitaire qui permet dorénavant d’éviter les quatorzaines. Les aéroports régionaux français, très dépendants du marché domestique et européen, devraient, les premiers, retrouver dès 2024 les niveaux de trafic atteints en 2019. Pour le reste des aéroports français, les plus grands où les vols internationaux représentent une part très importante du trafic, le niveau 2019 devrait être rejoint entre 2025 et 2027.
Pour la première fois de son histoire, le transport aérien décroche par rapport à l’économie générale. En France la reprise économique est bien là alors même que le transport aérien reste en récession du fait des mesures administratives décidées par les gouvernements telles que les restrictions de voyages liées à la pandémie. D’habitude le rebond du trafic aérien accompagne le rebond économique.
Cet été, le taux de remplissage des avions était satisfaisant mais les compagnies aériennes proposaient des capacités réduites. Ces capacités devraient augmenter dans les années qui viennent, en fonction des mesures sanitaires et des conditions de voyages entre les Etats. Le passe sanitaire a été pour l’Europe et pour l’été 2021 un sésame bienvenu, ce qui n’a pas été le cas dans tous les pays.
AéroMorning : Quel est l’impact de la loi Climat et résilience sur le réseau aéroportuaire français ?
Thomas Juin : Nous avons critiqué cette loi. Nous partageons l’objectif de réduction des émissions de CO2 mais nous considérons que les solutions retenues sont inadaptées. Cette loi ne fait ressortir que les effets négatifs du transport aérien en passant sous silence ses effets positifs. Elle part du principe que la décroissance peut être une solution. Un pari perdu d’avance alors que le transport aérien se déploie avant tout à l’échelle de la planète. Il est utopique de croire que la décroissance est possible partout dans le monde compte tenu des besoins de mobilité aérienne en Afrique, en Asie ou encore en Amérique latine.
La mesure de suppression de certaines lignes domestiques aura des effets quasiment nuls en matière de réduction des émissions de CO2. En revanche l’impact de cette mesure sera important pour l’économie des territoires desservis. Les liaisons aériennes entre Nantes et Paris ou entre Bordeaux-et Orly, pour ne citer que ces liaisons, répondent à des besoins de desserte économique des territoires.
En amont de la loi climat et résilience, aucune étude sérieuse n’a été effectuée pour mesurer les effets négatifs de ces lignes en termes d’émissions de CO2. Aucune étude d’impact n’a non plus été lancée sur les conséquences de la fermeture d’une ligne comme Bordeaux-Orly sur l’économie des territoires.
L’UAF a porté plainte auprès de la commission européenne, car c’est la première fois qu’une décision d’interdiction de libre prestation de service aérien est prise sur le fondement de l’article 20 du règlement 1008-2008.Pour l’UAF, la règlementation européenne invoquée par la France a été dévoyée car elle a été prévue pour des cas de pollution temporaire et d’atteinte grave à l’environnement et n’entre pas dans le contexte de la lutte contre le changement climatique qui s’inscrit sur le temps long.
AéroMorning : Que font spécifiquement les aéroports et plus généralement les autres acteurs du transport aérien pour aller vers des opérations plus « vertes » et regagner les faveurs des passagers ?
Thomas Juin : Les aéroports ont lancé une démarche spécifique avec la certification européenne « Airport Carbon Accreditation » (ACA). Les aéroports européens ciblent le zéro émission nette de carbone d’ici à 2050. Et les engagements s’accélèrent : l’aéroport de Lyon annonce la neutralité carbone sans compensation dès 2026, les aéroports de Marseille, Nice et Bâle-Mulhouse dès 2030. L’aéroport de Saint-Tropez lui est zéro émission nette depuis cette année. Au niveau de l’UAF, nous avons mis en place le programme EASEE qui vise à conduire tous les aéroports français dans la démarche ACA. Au jourd’hui ce sont 71 aéroports qui ont d’ores et déjà adhéré au programme EASEE.
La décarbonation de l’aviation est possible si toute la filière de l’aéronautique et du transport aérien s’implique dans la voie du verdissement de ses activités afin de respecter l’accord de Paris. La transition énergétique vers la neutralité carbone complète se fera en plusieurs étapes : d’abord à court et moyen termes avec la motorisation hybride/électrique et les carburants aéronautiques durables, puis à plus long terme avec l’hydrogène.
Ce sont les petits porteurs régionaux qui réussiront en premier leur transition énergétique. On aura des avions hybrides/électriques de moins de 100 sièges, qui parcourront des liaisons d’une heure à une heure trente, et cela bien avant 2030.
Pour les vols long-courriers avec de gros porteurs, qui représentent 80% des émissions du transport aérien, les carburant aéronautiques durables sont un levier majeur de décarbonation. La solution réside dans l’utilisation massive des carburants aéronautiques durables qui sont miscibles dans le kérosène. Le carburant durable de type bio fioul est labelisé et n’entre pas en concurrence avec la chaîne alimentaire. Cette ressource biocarburant est cependant limitée. Ce qui manque aujourd’hui, c’est une filière de production en capacité de produire suffisamment de carburants aéronautiques durables pour répondre aux besoins croissants du transport aérien.
Il est urgent que l’Europe émette une règlementation qui fixe des pourcentages d’incorporation de carburants durables dans le kérosène des avions. Les taux envisagés aujourd’hui nous paraissent manquer d’ambition. Nous estimons qu’il faudrait pouvoir atteindre un taux d’incorporation de 10% en 2030. Cet objectif nous paraît réaliste. Il permettrait de réduire les émissions de CO2 tout en permettant au transport aérien de continuer à opérer.
Il ne faut pas se faire d’illusion, la transition écologique va coûter très cher. Il faut que des mécanismes soient mis en place pour faciliter les investissements du transport aérien dans sa propre transition énergétique. On doit trouver des sources de financement et toute fiscalité écologique portant sur le transport aérien doit, à nos yeux, pouvoir servir exclusivement à la transition écologique du secteur. Les Etats doivent aussi accompagner les compagnies aériennes en leur permettant d’accéder rapidement et à un prix abordable aux carburants aéronautiques durable qui sont beaucoup plus chers (de 3 à 5 fois) que le kérosène. Il s’agit de préserver la compétitivité des compagnies françaises et européennes par des dispositifs adéquats.
AéroMorning : Que retenez-vous de l’année 2021 et qu’espérez-vous pour 2022 ?
Thomas Juin : Ce que je retiens de 2021 pour le transport aérien, c’est surtout le passe sanitaire européen qui a permis le redémarrage du trafic. Au niveau du continent, il a évité les quatorzaines. Le Royaume-Uni, qui ne fait plus partie de l’Union européenne, a maintenu les quatorzaines même pour les passagers vaccinés.
Pour 2022, j’espère que la coordination européenne restera forte et qu’elle permettra aux compagnies dès cet hiver de programmer leurs vols pour la saison aéronautique printemps-été. Le passe sanitaire européen doit être étendu à l’échelle internationale par le biais d’accords de réciprocité afin de redémarrer le trafic international. Le transport aérien doit pouvoir fonctionner avec le risque sanitaire comme il sait vivre avec le risque terroriste depuis les attentats de septembre 2001.
Enfin, en septembre 2022, entrera en vigueur aux frontières aériennes de l’Europe le dispositif EES (European Entry-Exit System) consistant en un renforcement des contrôles des passagers en provenance des pays tiers. Ce règlement va induire des temps de contrôles supplémentaires et un doublement du temps de contrôle par les gardes-frontières.
Pour l’UAF, le délai de contrôle par passager est un enjeu majeur. Aussi nous souhaitons avoir des gardes-frontières en nombre suffisant et des matériels dits de «smart border» permettant de concilier impératifs de sécurité et exigences de fluidité et de qualité de service dans nos aéroports. Nadia Didelot pour AeroMorning