Quatrième de Couverture
Fruit des amours d’un dieu et d’une mortelle, Circé la nymphe grandit parmi les divinités de l’Olympe. Mais son caractère étonne. Détonne. On la dit sorcière, parce qu’elle aime changer les choses. Plus humaine que céleste, parce qu’elle est sensible. En l’exilant sur une île déserte, comme le fut jadis Prométhée pour avoir trop aimé les hommes, ses pairs ne lui ont-ils pas plutôt rendu service ? Là, l’immortelle peut choisir qui elle est. Demi-déesse, certes, mais femme avant tout. Puissante, libre, amoureuse…
Mon avis
Circé est une nymphe, fille du Titan Hélios, dans un monde mystique où déplaire à son père est impensable. Le grand Hélios est terrifiant lorsque sa colère éclate, lui qui rayonne tout en attendant patiemment le jour où les Titans reprendront le dessus sur les Oympiens. Circé cherche chaque jour le bon moment pour obtenir l’approbation de son père, elle qui est la seule dans le monde divin à détonner avec sa voix aux sonorités humaines et son physique « basique ».
Une rencontre avec Prométhée lors de la mise en place de son châtiment va offrir à Circé de nouvelles perspectives. En bravant les lois divines, elle aussi doit expier ses fautes : elle se découvre alors complètement et se bat corps et âme pour s’extraire de sa destinée et choisir sa voie, malgré la cruauté des Dieux.
Madeline Miller nous propose une réécriture du mythe de Circé, la sorcière de l’Iliade qui fait une apparition dans l’épopée du célèbre Ulysse. La réécriture est moderne et s’inscrit dans le processus de réécriture de l’Histoire à travers le regard des femmes, comme une autre de mes lectures de l’année La trahison des dieux de Marion Zimmer Bradley.
Je ne connaissais de Circé que l’épisode des cochons, lu lors de l’étude de l’Iliade en classe de 6ème, à une époque où voir la sorcière au second plan, soumise aux charmes d’Ulysse ne me choquait pas. Plus de quinze ans plus tard j’ai parcouru du chemin et ce livre de Madeline Miller colle pas mal à la femme que je suis devenue. Il est utile que des autrices comme elle se réapproprient des millénaires de littérature pour changer la donne. Si ici il s’agit de mythologie, on peut tout de même faire le parallèle avec l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire et c’est d’ailleurs ainsi que c’est écrit :
« Plus tard, des années plus tard, j’entendrais la chanson relatant notre rencontre. Bien que le garçon qui la chantait soit inexpérimenté, manquant les notes plus souvent qu’il ne les réussissait, la douce mélodie des vers resplendissait malgré sa piètre performance. Je ne fus pas étonnée du portrait qu’on y faisait de moi : la fière sorcière d’avouant vaincue devant l’épée du héros, s’agenouillant et demandant grâce. Il semble que punir les femmes soit le passe-temps favori des poètes. Comme s’il ne pouvait y avoir d’histoire à moins que nous ne rampions en pleurant. » chap. 16, p. 293.
Dans ce roman, l’écriture cristalline de Madeline Miller met en lumière le parcours semé d’embûches de Circé, cette déesse différente, qualifiée de sorcière car elle possède le don de façonner et user de la magie de la nature, un pouvoir que craignent les Dieux. Pour avoir osé s’élever contre les lois divines et avoir métamorphosé des êtres, elle est exilée sur l’île déserte dont elle devient au fil de sa vie la maîtresse et la protectrice. Son châtiment, elle le transforme en libération : loin des autres Dieux, elle peut enfin tracer sa propre voie et devenir elle-même :
« Cette pensée était la suivante : bien que toute ma vie n’ait été qu’opacité et profondeurs, je ne faisais pas partie de cette eau sombre. J’étais simplement une créature vivant à l’intérieur. » chap. 2, p. 39.
Malgré cette sensation d’émancipation, Circé se rend chaque jour compte des manigances des Dieux mais aussi de la faillibilité des hommes. Sa puissance lui permet de tenir la plupart des dangers à distances mais l’implacabilité du destin lui revient régulièrement au visage. Les Dieux sont cruels, ils se gorgent du contrôle qu’ils ont sur le monde et se plaisent à le rappeler sans cesse, principalement après une accalmie feinte.
« Combien de fois devrais-je apprendre cette leçon ? Chacun de mes moments de paix était un mensonge, car il ne dépendait que du bon plaisir des Dieux. Peu importe ce que je faisais et combien de temps je vivrais, au moindre caprice, ils pourraient toujours tendre le bras et disposer de moi à leur guise. » chap. 17, p. 327.
Circé grandit au fil du temps, elle puise en elle des forces insoupçonnées et comprend peu à peu en quoi les humains sont enviables : ils meurent. Savoir que la vie prend fin un jour les pousse à vivre réellement pour eux et à affronter leur destin, ce que Circé cherchera alors à faire tout au long de sa vie. Sa force ne tient pas au fait qu’elle reste debout mais bien qu’elle se relève à chaque fois qu’elle tombe parce que cela vaut mieux que de se soumettre au monde des Dieux. Elle est façonnée par les êtres qui croisent sa route tout comme elle les influence bien plus que ce qu’elle peut croire. Et c’est en ça que Circé décrite par Madeline Miller est une grande héroïne : c’est par son interaction avec les autres qu’elle trace sa voie.
La partie que j’ai le moins aimée est celle avec Ulysse : le héros me gênait, rien ne me plaisait dans ce passage. La suite m’a permis de comprendre pourquoi ma réaction et mes émotions changeaient. Encore une preuve du talent de Madeline Miller et de l’impact de son écriture.
La fin est rapide mais parfaite, elle colle complètement à Circé telle qu’elle est développée au fil des pages. Cette réécriture clairement féministe est agréable même si elle m’a moins transportée que La trahison des dieux de Marion Zimmer Bradley : l’effort de Madeline Miller arrive à une époque assez convenue par rapport à celui de son aînée, à un moment où Circé pourrait être un énième bouquin surfant sur la vague du féminisme du 21ème siècle s’il n’était pas aussi bien écrit.
« On affirme souvent que les femmes sont des créatures délicates, comme les fleurs, les œufs et tout ce qui peut être écrasé dans un moment d’inattention. Si je l’avais jamais cru, ce n’était plus le cas désormais. » chap. 21, p. 449.
J’ai adoré cette lecture malgré mon besoin de me couper des lectures militantes ces derniers mois. Madeline Miller a su me charmer autant que son personnage.