Économie : les externalités, ces idées vagues et dangereuses

Publié le 19 décembre 2021 par Magazinenagg

 Le danger du concept d’externalité réside surtout dans son application à de plus en plus de domaines de la vie économique et quotidienne.

Tout lycéen qui étudie l’économie doit en apprendre la définition par cœur : une externalité est une « conséquence positive ou négative de l’action économique d’un agent qui ne s’accompagne pas de compensation financière ». L’exemple généralement donné est celui d’une usine qui rejette de la pollution pour produire.

Les externalités feraient partie des « défaillances de marché », c’est-à-dire des situations pour lesquelles l’intervention de l’État (généralement par la mise en place d’une taxe) est absolument indispensable pour se rapprocher du « bien commun » (ou optimum de Pareto en économie). Ce raisonnement qui peut sembler logique de prime abord, repose en réalité sur des fondements très discutables et fait courir le risque de justifier l’intervention de l’État tous azimuts.

DES FONDEMENTS THÉORIQUES FRAGILES

L’idée même qu’une activité économique entraîne une conséquence universellement et indiscutablement positive ou négative est déjà problématique. Si vous décidez d’installer une ruche dans votre jardin, les abeilles risquent tout aussi bien de déranger vos voisins durant leurs barbecues que de bénéficier au verger le plus proche en pollinisant les arbres fruitiers.

Une même activité peut donc très bien être à l’origine à la fois d’externalités positives et négatives. Et même pour des cas qui peuvent sembler universellement néfastes, comme la pollution, l’ampleur du dommage est éminemment subjective. Le jeune collégien qui souffre d’une pathologie respiratoire aura une aversion à la pollution de l’air bien plus importante que le vieillard qui se fiche éperdument des conséquences à long terme de la pollution sur sa santé.

Pour évaluer le montant du préjudice, et par suite celui de la taxe, il faudrait donc parvenir à mesurer et faire la somme de tous ces préjudices individuels, ce qui est évidemment impossible. Notons au passage que même si cela était possible, ça n’en légitimerait pas pour autant l’introduction d’une taxe, l’argent collecté par la taxe n’étant pas redistribué à hauteur du préjudice subi à ceux qui supportent le dommage, mais dépensé par l’État.

LES EXTERNALITÉS, UN PRÉTEXTE BIEN PRATIQUE

Mais par-delà ces considérations techniques, le danger du concept d’externalité réside surtout dans son application à de plus en plus de domaines de la vie économique et quotidienne.

En effet, avec une définition aussi large, à peu près tout peut être considéré comme une activité générant des externalités, puisqu’il est en fait très rare qu’une activité humaine n’entraîne aucune conséquence sur autrui. À titre d’exemple, quelque chose d’aussi banal que la décision de quitter un réseau social provoque une externalité négative pour les autres utilisateurs du réseau social, puisque  celui-ci est d’autant plus intéressant qu’un grand nombre de personnes l’utilise.

Faut-il pour autant taxer les personnes qui font ce choix ?

Dans sa volonté d’internaliser les externalités, l’État se trouve donc face au dilemme suivant :

  • soit il décide de ne corriger que certaines externalités (généralement selon des considérations politiques), et il exerce de ce fait son pouvoir de manière parfaitement arbitraire ;
  • soit il cherche à corriger absolument toutes les externalités, auquel cas il doit se résoudre à adopter des méthodes totalitaires, à commencer par la surveillance généralisée des citoyens et le contrôle complet de l’économie.

La volonté de lutter contre les externalités risque aussi d’enclencher un processus auto-entretenu, puisque les solutions proposées par l’État entraînent bien souvent de nouvelles externalités qu’il conviendrait en toute logique de corriger à nouveau.

Par exemple, lorsque l’État décide de subventionner l’énergie éolienne pour ses prétendues externalités positives en matière environnementale, il favorise l’implantation de champs d’éoliennes qui provoquent à leur tour un certain nombre d’externalités négatives, comme le bruit, la détérioration du paysage ou encore la mort d’oiseaux.

La lutte contre les externalités est donc une fuite en avant ne pouvant aboutir qu’à un contrôle complet de l’État sur l’économie s’il est appliqué avec cohérence, car l’État cherche en permanence des remèdes aux maux qu’il a lui-même causé.

Malheureusement, en France, ce pouvoir croissant de l’État se met en place d’autant plus facilement que notre pays a choisi de limiter au maximum la responsabilité individuelle pour lui préférer la collectivisation des risques, ce qui multiplie les cas de possibles externalités et les justifications au contrôle des citoyens.

Par exemple, si je décide de passer le samedi à regarder la télévision plutôt que d’aller courir, j’augmente statistiquement mon risque de maladies cardiaques, que d’autres paieront pour moi par leurs cotisations à la sécurité sociale.

De même, si je choisis de suivre une formation avec de faibles perspectives d’emplois, j’augmente la probabilité d’être au chômage dans le futur, qui sera essentiellement financé par les autres travailleurs. Faut-il, au nom de la lutte contre les externalités négatives sur le système de santé ou l’assurance chômage, limiter les choix des études et surveiller l’alimentation des citoyens, voire imposer des régimes alimentaires ? La perspective paraît dystopique, et pourtant c’est bien ce type de raisonnement qui nous a conduit à la situation actuelle avec le covid.

LIBERTÉ, RESPONSABILITÉ INDIVIDUELLE ET MARCHÉ

En effet, tout l’argumentaire favorable à la mise en place du pass sanitaire et des restrictions de liberté, notamment à l’égard des non-vaccinés, s’appuie implicitement sur cette notion d’externalité négative.

On nous explique ainsi que les non-vaccinés ne supporteraient pas le coût de leur décision, qu’ils seraient plus susceptibles de contaminer autrui ou qu’ils mettraient en péril le système de santé, et qu’il est donc légitime de limiter leur liberté tant il est évident que leur choix nuit à d’autres.

Dans une schizophrénie bien française, on a donc déresponsabilisé les individus par un système d’assurance publique et obligatoire, avant de les désigner coupables des externalités qu’ils exerceraient sur ce même système qu’ils ne peuvent pourtant pas quitter.

Ce triste épisode épidémique aura au moins le mérite d’illustrer que chaque velléité de contrôler avec zèle les externalités ne peut s’effectuer sans maintenir un haut niveau de contrôle et de surveillance des citoyens. Ainsi, plus l’acceptation du concept d’externalité est vaste, plus celle de liberté est étroite. Pire encore peut-être, avec lui c’est l’idée même de liberté s’efface, puisqu’elle se conjugue désormais au pluriel, alors que la liberté est individuelle ou elle n’est pas.

Pour sortir de ce carcan, il nous faut impérativement abolir tous les systèmes d’assurance publique obligatoires (à commencer par la Sécurité sociale et les retraites) pour laisser les Français rejoindre des assurances privées, grâce auxquelles chacun est véritablement responsable de ses choix.

Quant au reste des externalités, il convient de faire confiance au marché. Comme l’a montré Ronald Coase, les problèmes d’externalités disparaissent dès lors que les droits de propriété sont correctement attribués et que l’on laisse les individus les échanger librement.1. Si ce n’est pas ce chemin qui est suivi, il faut s’attendre à des mesures toujours plus liberticides dans toujours plus de domaines de la vie quotidienne.

  1. En toute rigueur, il faudrait rappeler que Coase fait l’hypothèse de faibles coûts de transactions.