caresser l’herbe molle et la mâcher,
brouter ce parc, manger
cette verdure
mince et morne où je m’oublie je tombe, où je me,
où je rumine comme un mouton
gentil. ou je remâche quelques brèves paroles
venant
de mes galets
de ventre,
où j’apprends à digérer ma jeunesse
aride, oui, à tout tenir à tout porter – et comme ça
j’avancerai
dans mes années
mes années folles, ma jeunesse
dans un bain d’herbe
tombale un bain de terre
torride, où me laver le ventre le nombril aussi la tête
un peu ma pauvre, oui, ma pauvre tête
comme une pomme
trop mûre. j’attends, bonjour,
j’attends le calme – ne vient pas, en attendant je,
je fais de la musique
par terre avec un bâton, et je récite les psaumes,
les psaumes les leçons d’école les ruminations
de mon papa
les insomnies, et quand j’aurai fini,
j’entonnerai,
j’entonnerai deux trois comptines
oui je dirai les,
les comptines maladroites de ma maman
qui me lavait, me rappelant,
me rappelant tous les matins,
les râles
de mon papa
papa qui me lavait me réveillait, papa,
qui me, qui me brûlait
la peau, qui frottait fort au savon jaune
oui mon père,
tordu, tordu de dos, marmonnant
la nuit, dix ans de chômage depuis,
(...)
Victor Malzac, Dans l’herbe, Cheyne, 2021, 64 p., 16€, pp. 36-38
Prière d’insérer :
Dans l’herbe, premier livre publié à Cheyne par le poète Victor Malzac, témoigne d’une adolescence dans une langue qui ne peut qu’être celle de ce « temps légendaire qui ne dure que peu d’années mais devient un univers entier et dessine un temps mythique » (Milo De Angelis). Poésie de la suffocation, du trop – du trop-manger, du trop-boire, du trop-fumer. Poésie de l’incertitude, de l’indécision, poésie d’une excitation qui ne connaît pas son objet, d’une angoisse qui se précise, d’un carré d’herbe où tout se joue – Dans l’herbe exprime avec force et acuité la nature de cet âge entre l’enfance et la maturité, sans rien enjoliver. Le résultat est un livre inoubliable, la découverte d’une langue nouvelle – celle de Victor Malzac – capable de dire de délire commun, la perte de repères, capable de nous replonger dans l’hébétude prolongée d’être en vie.
Né en 1997, Victor Malzac a vécu vingt-et-un ans à Montpellier, avant d’habiter Paris pour étudier les lettres et la diplomatie. Il publie depuis 2015 des textes de tous genres dans de nombreuses revues. Son premier recueil, respire, a paru en 2020 aux éditions de la Crypte. Il est également directeur de la revue Point de chute et spécialiste de la poésie de Tristan Corbière