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Le fascisme-marketing. (Toni Morrison)

Par Jmlire

Le fascisme-marketing. (Toni Morrison)Toni Morrison, 1998, **

" Les forces intéressées par les solutions fascistes aux problèmes nationaux ne se trouvent pas dans un parti politique ou un autre, ni dans une aile d'un seul parti politique ou une autre. Les démocrates n'ont pas une histoire d'égalitarisme sans tâche. Les libéraux ne sont pas non plus exempts de programmes de domination. les républicains ont compté dans leurs rangs tant des abolitionnistes que des défenseurs de la suprématie blanche. Conservateurs, modérés, libéraux ; gauche, droite, gauche dure, extrême droite ; religieux, laïcs, socialistes : nous ne devons pas nous laisser piéger par ces étiquettes du genre " Pepsi-Cola" ou "Coca-Cola", car le génie du fascisme, c'est que toute structure politique peut en héberger le virus et que quasiment tout pays développé peut en devenir un foyer convenable. Le fascisme parle la langue de l'idéologie, mais il n'est en vérité que marketing : marketing visant à s' assurer le pouvoir.

On le reconnaît à son besoin de purger, aux stratégies qu'il utilise pour ce faire et à sa terreur des programmes vraiment démocratiques. On le reconnaît à sa détermination à convertir tous les services publics en missions d'entreprises privées, toutes les associations à but non lucratif en association réalisant des bénéfices, de sorte que le gouffre étroit, mais confortable, séparant le gouvernement et les affaires disparaît. Il transforme les citoyens en contribuables, de sorte que les individus se fâchent ne serait-ce qu'à l'idée de bien public. Il transforme les voisins en consommateurs, de sorte que la mesure de notre valeur en tant qu'êtres humains n'est plus notre humanité, notre compassion ni notre générosité, mais ce que nous possédons. Il transforme le rôle de parent en motif de panique, de sorte que nous votons contre les intérêts de nos propres enfants : contre leur système de santé, leurs études, leur protection face aux armes. Et, en effectuant ces transformations, il engendre le parfait capitaliste, individu prêt à tuer un être humain pour obtenir un produit ( une paire de baskets, un blouson, une voiture ) ou à tuer plusieurs générations pour s'assurer le contrôle de divers produits ( pétrole, médicaments, fruits, or).

Quand nos peurs auront toutes été adaptées en feuilletons ; notre créativité, censurée ; nos idées, "mises sur le marché" ; nos droits, vendus ; notre intelligence, transformée en slogans ; notre force, diminuée ; notre intimité, vendue aux enchères ; quand la théâtralité, la valeur de divertissement et la commercialisation de la vie seront complètes, nous nous retrouverons à vivre non dans une nation, mais dans un consortium d'industries, entièrement inintelligibles à nous-mêmes, exception faite de ce que nous verrons vaguement derrière un écran."

Toni Morrison : extrait de "Racisme et fascisme" 1995, chronique faisant partie de l'ouvrage " La source de l'amour-propre", Christion Bourgois éditeur, 2019, pour la traduction française. ** Photo : John Mathew Smith ( Celebrite-photos.com )

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