Les projets fous des maîtres du monde.
Capitalisme. Dormons tranquilles, les milliardaires de la tech veulent inventer notre futur… tout en s’occupant de leur présent! Pour eux, il a fallu inventer un nouveau terme, celui de centimilliardaires, afin de les différencier des «petits» milliardaires, tant ils se situent en orbite du capitalisme globalisé. La pandémie a été une période faste pour les trois Américains qui accaparent tous les esprits mondialisés. Même le Figaro le note: «Au cours des vingt derniers mois, leurs fortunes ont atteint des sommets encore plus vertigineux. (…) Aux États-Unis, où la richesse individuelle suscite plus fréquemment l’admiration que la méfiance ou l’envie, leur puissance commence à susciter des critiques.» Les vainqueurs en question de la décennie des crabes, vous les connaissez bien. Elon Musk, le constructeur des automobiles électriques Tesla et des fusées spatiales SpaceX, a vu sa richesse quadrupler et dépasser le PIB de l’Afrique du Sud. Il a ravi à Jeff Bezos, le patron d’Amazon, le titre de personne la plus riche du monde. La fortune de Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, a dépassé les 100 milliards de dollars. Le bloc-noteur ne résiste pas au bonheur de citer cette précision du Figaro: «Des fuites du fisc américain ont révélé que la plupart d’entre eux ne payaient que très peu et parfois pas d’impôts sur le revenu. Même si c’est de façon totalement légale, puisque leur richesse provient de la montée en flèche de la valeur de leurs actifs, comme les actions et les biens immobiliers…»
Moyens. Les polémiques reflètent à merveille le rôle considérable de ce triumvirat de la finance, ainsi que la manière dont ils aspirent à façonner notre à-venir. Entre projets fous et influence sur la société dite «moderne» qui surclasse, et de loin, celle des autres multimilliardaires de la planète, ils sont à la fois visionnaires et pragmatiques, destructeurs et bâtisseurs, mais surtout actifs, à partir de leurs propres projets économiques, des évolutions du capitalisme dont ils détiennent en partie les clefs du futur. Leur pouvoir, ils le détiennent de leur immense richesse qui leur fournit des moyens comparables ou souvent supérieurs à bien des États, renvoyant les Ford et autres Rockefeller au rang d’ancêtres amateurs. Commentaire savoureux du Figaro: «Leur individualisme, leur défense de la libre entreprise et leur hostilité aux impôts les rapprochent des courants conservateurs. Mélange d’idéaux technocratiques et d’utopies libertaires, ils ont en commun une croyance dans le progrès technique pour réparer les dégâts commis par l’industrialisation et répondre aux grandes angoisses eschatologiques de notre temps.»
Horizon. Nous y voilà. Se prêtant le destin absolu d’ingénieurs persuadés de leur vision du monde hyperlogique et hyperbolique, ils rêvent d’offrir un nouvel horizon à l’humanité par la conquête de l’espac ou d’une réalité virtuelle. Elon Musk, à la tête de Tesla et de SpaceX, dit: «L’histoire va bifurquer dans deux directions. L’une d’elles consiste à rester sur Terre pour toujours, et à faire face à un événement dramatique d’extinction de masse. L’alternative est de devenir une civilisation spatiale et une espèce multiplanétaire.» Mark Zuckerberg, qui développe son nouveau monde par la réalité virtuelle augmentée, déclare: «Nos plus grands défis nécessitent des réponses mondiales, comme la fin du terrorisme, la lutte contre le changement climatique et la prévention des pandémies.» Quant à Jeff Bezos qui fournit aussi les puissants serveurs qui stockent près d’un tiers des informations sur Internet aux États-Unis, y compris celles du gouvernement et de la CIA, il ose: «La publicité est le prix à payer pour une pensée incomparable. L’intelligence est un don, la gentillesse un choix.» Ces gens-là veulent nous sauver de nous-mêmes. Sans aucune philanthropie.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 17 décembre 2021.]