Je suis sans doute en train de vivre les moments les plus intenses de ma vie. Ma femme Brigitte nous a quittés ce dimanche pour le grand voyage, après un an de souffrance face à cette merde de cancer du poumon. Elle n’a jamais fumé la moindre cigarette (ni le moindre joint), avait une hygiène de vie irréprochable, notamment sur le plan alimentaire. Mais voilà, ça lui est tombé dessus. Elle est restée égale à elle-même (et plus encore) : battante, positive, révoltée, confiante, sans jamais se plaindre de quoi que ce soit (sauf de cette injustice flagrante).
Les faits sont là, et ils ne sont évidemment pas faciles à vivre. En plus, il y a les « signes ». En soi, je n’y crois pas trop, mais force m’est de constater qu’ils sont là.
Tout d’abord, et ce n’est pas le moindre, Brigitte est partie le jour de mon anniversaire. Ça ne facilite pas les choses évidemment. Mais pour moi, c’est son ultime cadeau ! Désormais, elle ne souffre plus. Je ne sais pas si elle respire pleinement quelque part, mais elle ne souffre plus. Et ça, c’est un soulagement immense. Merci pour ce cadeau.
Samedi, nous avons passé avec elle une journée intense. Dure, mais remplie d’amour. Brigitte était tout à fait lucide. C’est elle qui nous donnait les instructions pour la suite. Je crois qu’elle se remplissait aussi de notre amour qui lui permettait de continuer à respirer même si ça devenait de plus en plus difficile. Elle a fini par s’endormir, sereine. Je l’ai veillée longtemps, je lui ai encore dit tout ce que j’avais à dire, et puis je suis rentré.
Pendant la nuit, j’ai téléphoné pour avoir des nouvelles. Ça allait, enfin, si on peut dire… Le matin, après une tasse de café, je me suis mis en chemin pour la rejoindre. Il suffit de pousser sur le bouton Start pour faire démarrer ma voiture, achetée récemment. Quand je l’ai fait, la voiture m’a répondu « Télécommande non détectée. Approchez la clé du bouton Start ». Elle ne m’avait jamais fait ça (et ne l’a plus fait depuis). J’ai dû m’y reprendre à deux fois. Cela veut dire que par deux fois, ma « clé télécommandée » a donné un baiser à ce foutu bouton Start pour m’autoriser à démarrer. Un peu plus d’un quart d’heure plus tard, j’arrivais dans la chambre de Brigitte. Elle était partie. Je l’ai embrassée une dernière fois, suis resté seul quelques instants avec elle, puis suis allé prévenir l’infirmière que c’était fini. Elle a été stupéfaite, m’a dit qu’elle l’avait vue un quart d’heure auparavant. Croyez ce que vous voulez, mais pour moi, il est clair que Brigitte a commencé son ultime voyage au moment où j’ai cherché à démarrer. Ce baiser entre télécommande et bouton Start, c’était le dernier acte d’amour qu’elle me donnait. Merci pour ce cadeau.
Ce n’était pas le dernier « signe ». Nous avons déménagé il y a cinq ans, en arrivant dans une commune extraordinaire. Tous les deux, nous nous y sommes engagés pour y être des citoyens actifs et responsables. Chacun à sa manière et selon nos spécificités, mais en parfaite harmonie et communion. Nous partagions souvent à propos de nos engagements respectifs, parfaitement complices dans ces actions pas toujours faciles. C’était devenu une dimension fondamentale de notre amour : agir concrètement ensemble pour une société meilleure, plus solidaire et plus démocratique. Dimanche soir, événement improbable : l’éclairage public de toute la commune tombe en panne. Pas de problèmes pour les maisons. Mais le noir total dans les rues. L’évidence m’est apparue clairement : une lumière s’était éteinte le matin, et toutes les lumières de notre commune s’associaient en hommage à cette nouvelle étoile qui brille désormais au firmament. Merci pour ce cadeau.
Même si ma tête est souvent remplie d’étoiles, je me sens plutôt quelqu’un de rationnel. J’analyse, je m’informe, je critique, je doute… Mais j’ai aussi appris que les « signes » peuvent s’imposer et qu’il faut pouvoir les lire. Je n’oserais jamais affirmé que les associations que j’ai décrites ici sont la stricte vérité. Les événements sont tous réels. Les liens que j’établis sont dictés par le sens que je veux bien y mettre. Mais quand les « signes » se répètent et se multiplient – il y en a d’autres dont je ne parle pas ici – on ne peut, je ne peux que me dire qu’ils sont là, avec tout le sens qu’ils portent en eux. Et qu’ils sont porteurs eux-mêmes. Et qu’il est bon de se sentir porté.