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(Note de lecture) Didier Cahen, Contes d'avant l'heure,, par Stéphane Barsacq

Par Florence Trocmé


Didier Cahen,
Le conte de l’autre en amont

Didier Cahen  contes d'avant l'heure
Riche d’une œuvre qui se partage entre poèmes et essais, une œuvre d’une longévité qui force l’admiration d’autant qu’il a su faire sienne l’injonction de Baudelaire selon laquelle « la fidélité est un des signes du génie », puisqu’il ne cesse de célébrer ses amis Jacques Derrida, André du Bouchet, Maurice Blanchot ou Marcel Cohen, une œuvre par ailleurs où les vers de forme brève alternent avec les méditations écrites au long cours, Didier Cahen publie un nouveau recueil, Contes d’avant l’heure (Tarabuste). Mais comment entendre ce titre à l’ironie douce-amère ? S’agit-il d’histoires merveilleuses ? De compte de raisons ? Voire d’un hommage déguisé à Lautréamont et à son titre de comte, lui qui fut, avec Rimbaud, l’un des inspirateurs du surréalisme ? On peut aussi bien songer à Max Jacob ou à Robert Desnos. Mais voici que Didier Cahen déjoue tout ce que l’on sait de lui, et remet en jeu ce qu’il a écrit, en le mesurant en arrière, comme en avant de lui-même, et d’une œuvre marquée par l’austérité et la verticalité : en arrière, car l’enfance appuie ; en avant, car la mort apparaît : et comme telle : réelle, terrible. Se dessine d’abord un paysage qui n’est pas sans évoquer le Voyage d’hiver de Schubert, comme revu et corrigé par Edmond Jabès. La neige et le sable se répondent, comme la blancheur et la viduité, sous le regard d’un ange bienveillant, même s’il est question d’un « voyage » qui « n’aura jamais lieu », autrement que sur la page et dans la musique de cette poésie si proche du silence dans son effacement que ce silence déchiré devient audible dans son lointain. L’ensemble du livre se déploie de même : il y est question de nuages, de papillons, d’une pluie fine, d’une porte ouverte, avec, en présence, une ombre, un chuchotement, un déséquilibre de tout l’être, même si celui-ci est si léger, dans ses nuances, son élégance, son prestige invisible, qu’on en vient à parier, dans son incertitude, qu’il va s’envoler, s’échapper, se métamorphoser. Tout l’art de Didier Cahen tient à cet équilibre poignant entre des apparitions à peine marquées et disparitions, qui laissent inconsolable, malgré la récitation de ces contes doux et tragiques. Un livre qui ajointe le presque-rien à un je-ne-sais quoi, comme on le voit chez Hammershøi ; une voix sensible et chaleureuse qui se porte au-devant des désastres et murmure ses ariettes.
Stéphane Barsacq

Didier Cahen, Contes d’avant l’heure, Tarabuste, 2021, 80 p., 12 €
On peut lire des extraits de ce livre dans l’anthologie permanente de Poezibao.


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