Pipe rigate sur lino. C'est l'histoire d'une nouille qui ne verra jamais la couleur d'une casserole ou le plastique d'un égouttoir. De la semoule de blé pour la postérité, échappée d'un sac de courses ou d'une poubelle, gisant sur le sol marron d'un ascenseur. Je l'ai repérée il y a déjà une semaine. La petite l'a reniflée. D'autres que moi l'ont forcément vue, sauf à ne jamais regarder le bout de leurs souliers. Ou se sont dit, je ne la ramasserai pas, je ne la pousserai pas du bout du pied, hors de l'ascenseur. Le gardien l'enlèvera lors de son nettoyage hebdomadaire, probablement. Ou pas. Jour après jour, mes congénères regagnent leurs pénates, impassibles, et je m'interroge. L'humain lève-t-il le regard vers les petites choses qui assaisonnent leur quotidien ? Que ce soit une nouille inopportune ou une fleur de pissenlit sur un coin de trottoir. Comme je suis retors, je me suis agenouillé pour saisir la pipe rigate, j'ai fourragé dans ma boîte à couture, pris une bobine de fil blanc, j'ai enfilé la nouille et l'ai suspendue dans l'ascenseur, à hauteur d'yeux. Voilà que je me prends pour Amélie Poulain. Naïf que je suis, je me dis que mes voisins vont y prêter attention puisque je la mets désormais sous leur nez, pendue à ce fil de coton accroché à l'un des quatre spots au plafond, vont-ils s'interroger sur l'intention ou finalement l'arracher ? Que nenni. Vingt-quatre heures se sont écoulées et la nouille pend toujours à son fil. Amusé, je songe presque à lui apporter d'autres petites sœurs pour compagnie. Rigatoni, penne, ou cannelloni, mon cœur balance.