J’ai grandi avec des bandes dessinées. Elles ont constitué mes premières lectures. Michel Vaillant, Les aventures de Tintin, Lucky Luke, Blueberry, Gaston Lagaffe ont été des piliers de cette introduction au monde du livre qui fut la mienne...
C’est donc avec un réel plaisir que je me suis payé une bande dessinée dans une librairie près de la station de métro Poissonnière. Sangoma a attiré mon attention. Peut-être pour son sous-titre Les damnés de Cape-Town. Mais surtout pour l’un des auteurs : le breton Caryl Ferey. L’homme est avant tout un romancier à succès. Un auteur de polars exotiques comme Haka, Zulu ou Mapuche très loin de ses bases bretonnes, on est face à un écrivain original, brillant. Cela dit, je n’ai pas encore lu ses romans. Sangoma est une opportunité pour moi d'aborder son univers. Et je pense qu’un de ces quatre, je lirai ses romans.
Sangoma se passe au Cap, cette ville si singulière, à l’extrême sud du continent africain. Cette bande dessinée commence par une course poursuite. Un noir traqué par des chiens enragés. Une triste image du passé qui nous rappelle le contexte sud africain, post apartheid avec ses nombreux fantômes. Attrapé, flagellé ensuite devant sa famille, devant tous les membres de la ferme. Une haine sourde anime les témoins de cette flagellation. L’homme traqué est un personnage important dans une ferme encore tenue par des propriétaires blancs. Propriétaires contestés dans leur légitimité à détenir ces terres dans une Afrique du Sud actuelle où la réforme agraire n’a jamais eu lieu et ou chacun tient ses positions : Afrikaners, Noirs, coloured. Naturellement, il s’agit d’un polar. Et il y a deux situations qui vont déclencher une enquête. Un homme de la concession est retrouvé mort, assassiné dans une travée d’un des champs. Peu de temps avant, un bébé a été enlevé dans les environs.
C’est une Afrique du Sud en ébullition que découvre le lecteur tant par les débats violents au Parlement sur les enjeux politiques et surtout économiques avec la question de la réforme agraire. C’est aussi tout un discours sur la question de la discrimination positive que ne bénéficie qu'à certaines élites noires. Mais Sangoma est avant tout une plongée dans des croyances magico-religieuses sud africaines. Terrifiantes pour certaines, et dont quelques unes sont déjà arrivées aux oreilles averties. Caryl Ferey arrive avec son illustrateur à nous rendre l’Afrique du Sud dans ses principales composantes socio-géographique : l’exploitation agricole, le township, le downtown.
Ma réserve : La bande dessinée est racontée à partir de l’enquête d’un inspecteur de police déjanté, passionné qui veut imposer sa touche à sa hiérarchie. Il est borderline dans ses actions et dans le contexte ultraviolent sud-africain, on a du mal à se représenter ses interventions musclées dans le township et ses relations chaudes avec la fille d’un notable noir. Le personnage de Shepperd porte en lui quelque chose d’attractif, de sympathique et de repoussant, car dans sa famille on est policier de père en fils. Le régime de l'apartheid est encore trop frais pour qu'un tel personnage soit crédible.
Points forts : Le dessin de Corentin Rouge est vraiment réussi. Il est très dynamique dans la construction et l’enchaînement des scènes d'action, mais aussi par les peintures donnant une vue surplombant l’exploitation agricole de Kobus ou le township de Mitchell’s Plain. Thriller réussi, oui. Mais, je n’ai pas adhéré au personnage principal.
Caryl Ferey / Corentin Carouge : Sangoma, les damnés de Cape TownEditions Glénat, 2021