Il débarque dont ne sait où et pour trois jours seulement, d’où le titre du roman. Personne n’a la moindre idée de ce qu’il vient faire là. Pourtant, si le garçon ne semble pas bien méchant, il affiche une détermination de fer et avance sans jamais reculer sous "des paires d’yeux au diapason de la méfiance" (p.231) alors qu'à son arrivée il nous disait "être à cent lieux d'imaginer à quoi il allait occuper ses journées" (p.14).
Trois jours raconte la collusion entre le destin de ce jeune homme et celui des habitants de ce village agonisant qui se dépeuple : le maire, un garde-champêtre, une épicière, un garçon de café, un tétraplégique, un enfant singulier, une bibliothécaire …
Le destin est à l’oeuvre au fil du croisement de leurs routes. Le jeune ne nous fera pas croire qu’il ne subsistera de son passage qu’une trace éphémère laissée par sa tente sur l’herbe du camping.
Il suffit parfois de peu de choses pour détourner une trajectoire. On a tous une propension à rester dans notre « zone de confort » même si celle-ci est une prison dès lors que, comme l’analyse l’auteur (p. 217) "l’illusion du bonheur est préférable au bonheur lui-même".
Denis Brillet traite de manière inédite le thème de l’altérité dans une nature hostile à laquelle il donne un statut de personnage. Il aborde par petites touches des sujets de société universels comme la solitude, la peur du changement, la pensée magique et d’autres très actuels, comme la précarité. C’est sans surprise qu’on voit se profiler une manifestation des gilets jaunes à la fin.
Je suis sans doute sous l’influence de ce que je vois au cinéma ou au théâtre mais il ne fait pas de doute pour moi que ce garçon est le strict contrepied de Tartuffe, mais je ne peux argumenter mon point de vue sans trop révéler comment les choses vont tourner.
C’est le dixième ouvrage de cet auteur qui vit en Normandie, au coeur du Pays d’Auge. Après des études d’histoire menées en parallèle à sa profession d’enseignant, il s’est remis à l’écriture qu’il avait laissée de côté par manque de temps. Son recueil Lignes de vies a reçu le Prix Gustave Flaubert et son roman Mille raisons d’aimer Lilo le Prix des Bibliothécaires de Douvres-la-Délivrande et le Prix du Lion’s Club de Normandie.
J’ai découvert ce livre, paru il y a un an, par la dernière sélection 2021 Hors Concours où l’extrait qui y figurait m’a donné envie de le lire en entier, quand bien même mon avis n’était pas celui de la majorité du jury professionnel auquel j’appartiens.
En relisant les notes que j'avais prises après avoir lu l'extrait publié dans la sélection (est qui était le début du roman) je les trouve après coup très justes : formulations inédites, humour léger mais présent, lexique très soutenu, intrigant. Le roman a pleinement tenu ses promesses.
Trois jours de Denis Brillet, Rémanence, 8 septembre 2020