" Un Rafale traversa les airs. En un mouvement réflexe, techniciens et plongeurs rentrèrent la tête dans les épaules. Ce n'était pas un bruit (...), plutôt une lacération du ciel. Un arrachement de la matière la plus dure qu'on puisse imaginer : le magma originel. Comme si on déchirait une montagne aussi facilement qu'une feuille de papier. " (Jean-Christophe Grangé, "Lontano", 2015, éd. Albin Michel).
La vie n'est pas un long fleuve tranquille pour Valérie Pécresse, mais depuis sa désignation par le congrès de LR le 4 décembre 2021, elle est sur un "petit nuage". C'est l'effet kiss cool des primaires, même Benoît Hamon en avait bénéficié à la fin de janvier 2017, un sursaut de popularité dû au mérite d'avoir fait l'actualité. La seule exception (très étonnante) de cet effet kiss cool des primaires, c'est Yannick Jadot qui patine dans ses oppositions internes avec Sandrine Rousseau.
C'est d'ailleurs ce que craignait Valérie Pécresse avec Éric Ciotti, très applaudi dans le meeting d'un autre Éric, Éric Zemmour. Dès le dimanche 5 décembre 2021, Éric Ciotti a mis la pression sur Valérie Pécresse pour prendre en compte son programme. C'est très étrange, cette notion du qui-perd-gagne. Valérie Pécresse avait rappelé dès le 4 décembre 2021 au journal de 20 heures sur TF1 que c'était son programme qui a été choisi, pas celui de son adversaire ! Ce qui n'a pas plu au député de Nice qui, assuré d'être un futur Ministre de l'Intérieur, en voudrait plus (Matignon par exemple).
On voit d'ailleurs à quel point la non-participation à cette primaire de Laurent Wauquiez va lui être fatal pour la suite : on ne célèbre que ceux qui ont voulu concourir, ce qui est logique. Ceux qui se sont retirés, attentistes, prudents, on les oublie. Évident, il faut voir la suite. Laurent Wauquiez n'a pas participé à cette primaire LR parce qu'il était persuadé que LR échouerait à l'élection présidentielle et qu'il ramasserait la mise par la suite. Il faut voir et ce qui va suivre démontre que jamais rien n'est écrit à l'avance.
Valérie Pécresse n'a pas perdu de temps. Elle a décidé d'aller, cette semaine, dans le fief de chacun de ses concurrents du congrès de LR afin de refaire l'unité. Il n'y a pas de doute qu'elle parviendra à l'unité avec les trois perdants du premier tour. Et avec Éric Ciotti, qu'elle a retrouvé dans les Alpes-Maritimes ce lundi 6 décembre 2021 (à la Saint-Nicolas, il n'y a jamais de hasard en politique !), elle l'a considéré comme son Charles Pasqua, encombrant mais nécessaire, repoussant mais rabatteur. Je ne suis pas sûr que ce soit très flatteur pour Éric Ciotti qui préférerait plutôt le rôle de François Fillon pendant la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007.
Tout cela concerne des positionnements politiciens pour l'avenir, mais sur le plan du programme politique, Éric Ciotti serait plutôt de mauvaise foi. Dans la philosophie générale, sur le régalien, il n'y a pas de grandes différences entre Valérie Pécresse et Éric Ciotti, et même avec Éric Zemmour et Marine Le Pen, c'est cela qui est d'ailleurs désolant pour la majorité des électeurs de centre droit qui ont fui cette campagne ultradroitière de LR. Comment réussir à attirer "en même temps" les zemmouriens et les macronistes ? Une sacrée mission impossible.
Éric Ciotti a employé la très maladroite expression "Guantanamo à la française" qui laisserait entendre la victoire du non-droit. Pour un parti qui, par ailleurs, prône la fin des zones de non-droit, refuser d'appliquer l'État de droit paraît bien spécieux. J'ai évoqué la mauvaise foi de l'ex-candidat Ciotti parce que Valérie Pécresse n'a jamais que réutilisé des thèmes ultradroitiers, et pas seulement depuis cette campagne interne, depuis qu'elle a été élue présidente du conseil régional d'Île-de-France où elle s'est beaucoup occupée de sécurité. Si elle a quitté LR en 2019, c'est parce qu'on lui avait dit que la désignation de Christian Jacob à la présidence de LR était pliée, alors qu'elle aurait voulu concourir.
Ce qui est intéressant, c'est aussi que Valérie Pécresse reprend souvent le langage de Laurent Wauquiez, en particulier quand elle explique que la droite républicaine est de retour ; c'est un slogan peu original. À l'origine, c'est Ronald Reagan qui a gagné son élection de 1980 sur ce slogan : America is back ! La fin du mandat de Jimmy Carter a été une véritable désolation américaine avec les otages américains à Téhéran, l'invasion soviétique de l'Afghanistan et le second choc pétrolier. Jean-Marie Le Pen a alors repris le slogan dans un livre, "La France est de retour" qui date de 1985 (éd. Carrère-Lafon) à la suite de sa percée aux élections européennes de juin 1984. Après lui, beaucoup de responsables politiques l'ont utilisé, ou ont utilisé des slogans qui s'y rapprochaient, en particulier Donald Trump, Laurent Wauquiez, Éric Zemmour et maintenant Valérie Pécresse qui oublie qu'elle a aussi des électeurs de centre droit à convaincre.
Pour en revenir au programme que présentera Valérie Pécresse, elle fera certainement une concession à Éric Ciotti sur l'économie ou la fiscalité, peut-être sur la suppression des droits de succession qui ravirait l'électorat capté aujourd'hui par Éric Zemmour.
Les sondeurs, qui avaient été incapables techniquement de prévoir l'issue du congrès de LR parce qu'ils n'avaient pas les moyens de constituer un échantillon représentatif des adhérents LR, ne pouvaient pas non plus sonder en intentions de vote Éric Ciotti et Valérie Pécresse dans les conditions d'une vraie élection présidentielle, à cause de la brièveté de la période entre les deux tours (deux journées). Valérie Pécresse avait été testée alternativement avec Xavier Bertrand et Mchel Barnier sans qu'il n'y ait de frémissement au cours de cette campagne interne qui, pourtant, semblait intéresser les électeurs si l'on en croit les audiences assez bonnes des quatre débats LR.
Or, le 6 décembre 2021 à 20 heures a été dévoilé le premier sondage après à la fois la déclaration de candidature d'Éric Zemmour et la désignation de Valérie Pécresse, deux inconnues qui ont longtemps placé les sondages dans une certaine expectative et qui ont forcément bougé les lignes. Ce sondage réalisé par IFOP-Fiducial pour LCI a manifestement montré qu'il y avait un " effet Pécresse" : elle s'est hissée à 17%, deuxième ex-aequo avec Marine Le Pen, derrière Emmanuel Macron (pas encore candidat) à 25% (très stable) et devant Éric Zemmour 13%, Jean-Luc Mélenchon 9%, Yannick Jadot 6% et Anne Hidalgo 5%.
Alors que les candidats de gauche sont, comme Emmanuel Macron, très stables, l'envolée de Valérie Pécresse est claire : pour les journalistes, c'est une surprise, mais elle n'en est pas une. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, Valérie Pécresse, comme Michel Barnier, comme Éric Ciotti, a eu un manque de notoriété. Elle est bien connue en région parisienne, mais moins dans les autres régions, parce qu'elle n'est pas une leader nationale depuis trente ans, candidate multiécidiviste comme les Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, etc.
Son score d'intentions de vote d'avant-congrès LR de 9% à 10% correspondait juste aux personnes qui la connaissaient et l'appréciaient. Le 17% correspond donc à un surplus de notoriété et aussi à l'effet pavlovien de la mode médiatique ou de la mise en actualité, on a beaucoup parlé d'elle et on la trouve sympathique, on trouve intéressant ce qu'elle propose, et je pense que le fait qu'elle est une femme peut aussi renforcer cette sympathie et aussi cet espoir de voir une femme un jour enfin accéder à l'Élysée, et pour l'instant, les deux seules femmes qui avaient accédé au second tour ne faisaient pas l'affaire, Ségolène Royal et Marine Le Pen.
Bien sûr, un seul sondage ne fait pas le printemps, c'est court pour tirer des conclusions sans qu'elles ne soient hâtives, mais tout le mois de décembre 2021 confirmera ou pas cette première indication : Valérie Pécresse est-elle capable de redonner confiance aux électeurs de droite qu'ils peuvent gagner l'élection présidentielle. Car ceux qui ont été attirés par Éric Zemmour, comme ceux qui ont été attiré par Jean-Marie Le Pen dans les années 1980, choisissaient la politique du pire car ils ne pensaient pas être capables de gagner l'élection sur leurs positions. Alors, ils se faisaient plaisir. À partir du moment où l'élection de Valérie Pécresse arrive dans le champ des possibles, la réflexion électorale est tout autre. Il y a clairement un transvasement de l'électorat potentiel d'Éric Zemmour vers l'électorat de Valérie Pécresse (ce déplacement est évalué à 4% dans ce sondage).
En tout cas, la candidate LR ne semble avoir pris aucun électeur d'Emmanuel Macron et ce sera sûrement sa difficulté finale : pour le premier tour, il faut qu'elle se montre ultradroitière pour manger sur les électorats d'Éric Zemmour et de Marine Le Pen, et pour le second tour, il faudra qu'elle "chasse" l'électeur du centre droit, et cette synthèse est très difficile à trouver (Nicolas Sarkozy y était parvenu, pas François Fillon trop psychorigide). L'atout de Valérie Pécresse est son pragmatisme. Elle peut donc s'adapter. Au risque d'être perçue de faire du Macron.
Ce sondage démontre aussi une chose évidente mais niée par tous les éditorialistes depuis trois mois : Xavier Bertrand avait tort d'apporter comme seul argument pour le choisir, les sondages (je suis le seul capable de battre Emmanuel Macron !). En situation de candidature hypothétique, les sondages n'ont aucune valeur. Xavier Bertrand était peut-être le mieux testé des candidats LR, mais à un niveau qui ne permettait de toute façon pas d'atteindre le second tour (souvent en quatrième position). Pas sûr que désigné candidat, il y aurait eu un effet Xavier Bertrand, car il reste particulièrement détesté par l'ultradroite. Pourtant, tout cela, on le savait, on doit quand même commencer à comprendre le fonctionnement d'une précampagne, mais on dirait toujours que c'est le permanent recommencement (ou alors, c'est pour garder une certaine audience ; garder l'effet de surprise, le principe de l'émerveillement perpétuel). Bref, En deux jours, Valérie Pécresse a atteint dans un sondage d'intentions de vote beaucoup plus que Xavier Bertrand n'a jamais espéré obtenir pendant six mois. La méthode Coué a donc des limites et c'est très heureux pour le fonctionnement politique et démocratique de nos institutions.
Quant à Éric Zemmour ( j'y reviendrai), la lutte va être féroce. Sa déclaration de candidature et son meeting de Villepinte ont sans doute conforté ses ultra-adeptes, mais il n'a pas su encore s'élargir de sa base. Au contraire, elle s'est réduite comme s'il était un simple candidat de plan B en absence de candidat sérieux.
Valérie Pécresse est désormais là, elle est cette candidate sérieuse, et elle est une candidate redoutable. Dans l'état actuel de "l'opinion publique", je ne pense pas que cela bouleverse les positions d'Emmanuel Macron qui garde une base électorale très solide. Mais il est possible, et c'est même dans la logique d'une campagne présidentielle, qu'au cours de sa campagne, Valérie Pécresse s'adressera aux électeurs d'Emmanuel Macron ("il a cramé la caisse" pourrait être un argument redoutable ; sur l'attention portée aux finances publiques, Valérie Pécresse est crédible avec sa gestion de la région parisienne). Et on verra si chaque embardée vers le centre droit lui fera perdre une parte de sa droite qui retournerait vers Éric Zemmour.
Néanmoins, l'élection présidentielle a une chimie plus complexe qu'un simple réglage de programmation : il s'agit de savoir si les Français trouvent les candidats capables d'assurer la fonction présidentielle, et même si elle a déjà faire ses preuves en Île-de-France et dans ses ministères (Université et Recherche, Budget), tout reste encore à démontrer pour Valérie Pécresse. Elle a juste quatre mois pour convaincre.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (06 décembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Élysée 2022 (19) : l'effet Valérie Pécresse.
Élysée 2022 (18) : Valérie Pécresse, naissance d'une leader.
Second tour du congrès du parti Les Républicains le 4 décembre 2021.
Élysée 2022 (16) : ce sera le duel Ciotti-Pécresse.
Élysée 2022 (15) : le quatrième et ultime débat des candidats LR.
Élysée 2022 (14) : L'envol d'Éric Ciotti ?
Renaud Muselier.
Philippe Juvin.
Élysée 2022 (13) : troisième débat LR, bis repetita.
Élysée 2022 (12) : Surenchères désolantes pendant le deuxième débat LR.
Élysée 2022 (11) : Michel Barnier succédera-t-il à Emmanuel Macron ?
Élysée 2022 (10) : Éric Ciotti, gagnant inattendu du premier débat LR.
Élysée 2022 (7) : l'impossible candidature LR.
Les Républicains et la tentation populiste.
Jean-François Copé.
Yvon Bourges.
Christian Poncelet.
René Capitant.
Patrick Devedjian.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211206-pecresse.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/elysee-2022-19-l-effet-valerie-237734
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/12/07/39251622.html