(Note de lecture) Antoine Wauters, Mahmoud ou la montée des eaux, par Philippe Fumery

Par Florence Trocmé

Le dernier livre d’Antoine Wauters est comme une passerelle entre deux rives, le roman et le poème. Le barrage qui fait monter les eaux, qui anéantit les lieux et les souvenirs d’une vie, est à l’image de cette guerre qui s’éternise, ruine un pays et déchire son peuple.
Antoine Wauters, par la bouche et les mains de Mahmoud Elmachi ou de sa femme Sarah, évoque ce qu’est écrire dans un pays en guerre : la désolation, les ruines. La prison, les tortures, les disparitions. Le manque, la solitude. L’effacement des êtres.
Mais comment écrire quand on a tout perdu ?
Écrire demande foi et folie.
Moi, il ne me reste rien. 53

À quoi bon écrire, face au constat accablant de ce désastre ?
Mes poèmes ne sont pas des poèmes.
Ce sont des vers remplis de peur,
et de rage et de peine. 61
La guerre efface les êtres, et soi-même.
Pour écrire : ressentez à quel point vous n’existez pas,
à quel point vous êtes trouble.
Tout vient de là. 25

À quoi bon écrire, mais faut-il connaître la guerre pour s’arracher les doigts à vouloir écrire ?
Or écrire, je pensais, non, j’en étais sûr comme
on est sûr de porter la vie, doit être une chose simple, ou
alors elle est intenable. 41

Pour Antoine Wauters, l’écriture est possible et nécessaire, parce qu’elle nous renvoie et nous projette du côté de la vie : grâce à ce temps d’avance que l’écriture a sur la vie. Écrire gomme l’absence et rend un contour et des formes aux choses et aux êtres : Ou grâce au fait qu’écrire nous lie à ce qu’on ne voit pas. 106
Le poète syrien a transporté sa vie, ses souvenirs et ses émotions, dans un réduit où le monde se recrée et lui permet de créer ses poèmes.
Parfois, il cesse de parler, délaisse ses empilements
et se dirige vers le cabanon où, depuis toujours,
il se réfugie pour écrire.
Mais il ne disait pas écrire, il disait battre son tapis. 38

Ce refuge, c’est le « petit cabanon des épreuves ». 123
Mais le miracle s’est produit, et Antoine Wauters est ce subtil funambule qui avance sur sa passerelle jetée entre les rives :
Pourtant, les meilleurs choses que tu aies écrites,
d'après moi, sont celles que tu as couvées dans le nid
de l’humilité. Au secret des peines. 123

Philippe Fumery.

Antoine Wauters, Mahmoud ou la montée des eaux, Verdier, 2021, 144 pages, 15,20€
NDLR : Mahmoud ou la montée des eaux a été distingué par le prix Wepler- Fondation La poste. Antoine Wauters était récemment l'invité d'Augustin Trapenard, sur France Inter.
Sur le site de l’éditeur