Le monde est une place de jeux.
Pendant sept mois, Blaise Hofmann voyage avec son amoureuse, Virginie, et ses deux filles, Eve, 3 ans, Alice, 2 ans, deux petites éponges amnésiques, qui sont partout chez elles et qui lui permettent par moments de retrouver sa propre enfance:
Septembre 2019: Japon
Octobre 2019: Cambodge - Laos
Novembre 2019: Birmanie
Décembre 2019 - Janvier 2020: Thaïlande
Février 2020: Sri Lanka
Mars 2020: Inde
Cette chronologie reconstituée, tant bien que mal, n'est pas celle de ce récit de voyage à quatre en Asie, interrompu pour cause de pandémie et qui aurait pu durer encore un mois ou deux, le temps d'aller faire un tour au Népal, par exemple.
Au Laos, au moment de s'endormir, Blaise Hofmann a à l'esprit des concepts fumeux: autarcie, mortalité infantile, empreinte écologique, respect des anciens, stagnation économique, circuit court. Au village, les habitants, pauvres, n'ont pas les convictions qu'il leur prête...
Au Japon, il s'interroge sur le monde qu'il va laisser à ses filles, alors qu'en Asie sévit une épidémie de dengue, qui s'étend sur toute la planète, sauf en Occident. Il dessine son itinéraire en fonction des chiffres publiés par l'Organisation mondiale de la santé...
Là le voyage ne serait pas le même s'il était tout seul: En famille, la liberté ne ressemble pas à un volcan enneigé, c'est plus modeste, c'est un espace clos, sans voitures, sans motos, sans vélos, sans danger, une cour de temple, une place de jeux, le grand lit d'un studio Airbnb, un cocon, un nid douillet.
Ce n'est donc pas vraiment un récit d'aventures, même si 40'000 kilomètres ont été parcourus en sept mois, mais plutôt un récit de rencontres, de lectures de livres de seconde main, de préoccupations parentales - attention - et de questions d'enfants - pourquoi.
Les 1'200 clichés pris avec son smartphone ne rendent pas compte de ce périple où tradition et modernité se mêlent: ils lui apparaissent en définitive comme des souvenirs froids, sans nuances, sans bruits, sans odeurs.
Dans un livre d'Annie Ernaux, Mémoire de fille, il trouve la réponse qu'il cherche à son besoin d'écrire ce qu'il vit: C'est l'absence de sens de ce que l'on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d'écriture.
Quand, en fin anticipée d'itinéraire, il s'agit d'embarquer pour le pays depuis l'aéroport de Delhi, les masques font leur apparition sur les visages et, attrapée - ou rattrapée? - par la paranoïa, la famille se tient dans un coin, à l'écart des autres êtres humains.
D'ailleurs, lorsque la famille arrive en Suisse, une autre règle de jeu s'applique: les filles ne doivent pas embrasser Tonton Alex qui a ramené la voiture en gare de Morges. Les rues sont vides et la récréation est bien terminée:
En traversant un village, les filles voient un tape-cul, un tourniquet et un animal à ressort, arrête-toi papa! Les installations sont habillées de rouges et blancs; un panneau rappelle que jusqu'à nouvel ordre, la place de jeux restera fermée.
Francis Richard
Deux petites maîtresses zen, Blaise Hofmann, 224 pages, Zoé
Livres précédents:
Monde animal, éditions d'autre part (2016)
La fête, Zoé (2019)
Avec Stéphane Blok:
Fête des vignerons 2019 - Les poèmes, Zoé et Bernard Campiche Éditeur (2019)
Collectif sous la direction de Louise Anne Bouchard:
Du coeur à l'ouvrage, L'Aire (2012)