Critique de Dom Juan – Répétitions en cours, de Molière, vu le 25 novembre 2021 au Théâtre du Chesnay
Avec Maxime d’Aboville, Marc Citti, Jean-Marie Galey, Valentine Galey, Grégory Gerreboo, Mathieu Métral, Rose Noël, et Christelle Reboul, dans une mise en scène de Christophe Lidon
Suivre des comédiens m’entraîne dans bien des périples. N’ayant pu découvrir la création de ce Dom Juan au Cado d’Orléans, me voilà qui sillonne la banlieue ouest parisienne en direction du Théâtre du Chesnay où je ne suis encore jamais allée. Je dois avouer que je ne m’attendais pas à une aussi belle salle, ni à un aussi grand plateau. La soirée commence bien. J’ai hâte.
Lorsque j’ai appris que Maxime d’Aboville jouait Dom Juan, j’ai eu deux secondes d’étonnement et tout de suite un sentiment d’évidence. Au premier abord, ce n’est pas à lui qu’on pense pour jouer le célèbre séducteur de Molière, mais c’est oublier la profondeur du personnage et ses aspects de provocateur impertinent qui siéent si bien à ce comédien. Et même si le sous-titre Répétitions en cours n’augurait rien de bon, j’ai quand même voulu voir ce que donnait ce Dom Juan qui sort un peu des codes.
On connaît tous Dom Juan, dont le personnage si célèbre est devenu un nom commun désignant un séducteur sans scrupules. Chez Molière, et particulièrement dans la mise en scène de Christophe Lidon, on a droit à un peu plus de nuances : certes, Dom Juan a laissé tombé Done Elvire après l’avoir sortie du couvent et épousée, certes il se joue du Ciel comme des femmes, certes il semble n’avoir aucune morale… ou plutôt semble-t-il par instants la chercher. Ce Dom Juan, qui a pourtant bien des défauts – enfin, surtout un gros – propose cette lecture rare de l’oeuvre qui entrouvre la porte du doute et de la rédemption chez Dom Juan – c’est une faible lueur, mais elle existe.
Parlons-en, du gros problème de cette mise en scène. On le sentait arriver, il est bel et bien là et porte le doux nom de Répétitions en cours. Ce genre de mise en scène, qui cherche à inclure le spectateur dans le processus créatif en montrant non pas la pièce finalisée mais une répétition, dans laquelle le metteur en scène intervient et les interrogations des comédiens sur leurs personnages sont légion, pullulait il y a quelques années. Et je ne crois pas en avoir vu une seule dans lequel le procédé était vraiment intéressant.
Celle de Christophe Lidon ne fait pas exception. Les éléments de répétition paraissent un peu superficiels et, s’ils permettent par exemple à Done Elvire de rallonger sa présence en scène en lui offrant la possibilité de redire l’une de ses tirades, cela donne quand même l’impression d’un non-choix.
C’est d’autant plus dommage que la mise en scène de son Dom Juan, elle, fonctionne plutôt bien ! Dès qu’on entre dans la pièce, on en oublie le reste et la répétition n’est plus un sujet. Et, surtout, proposer Dom Juan à Maxime d’Aboville était la vraie bonne idée. A chaque fois que je le vois sur scène, c’est le même choc : ce comédien dégage une puissance inattendue. Son Dom Juan a un tempérament de dictateur, à la fois envoutant et tranchant, qui rappelle par certains aspects son personnage dans The Servant. Son pas pressé et sa diction légèrement grandiloquente viennent compléter le tableau. Il donne l’impression d’avoir tout en son pouvoir, mais laisse apercevoir un semblant de faille dans son dernier échange avec Elvire. C’est unique, c’est grand. On a hâte de le voir jouer Iago ou Richard III – ces personnages, quelque part entre monstres et gourou, sont faits pour lui.
J’avais un petit doute sur la distribution en lisant le nom de Christelle Reboul pour incarner Done Elvire. Le doute est levé dès son entrée en scène. C’est loin de tout ce dans quoi je l’avais vue jusqu’ici, mais la fragilité qu’elle donne à voir est brûlante d’authenticité, et c’est un vrai plaisir de l’entendre doubler sa tirade, même si cela nous ramène à la répétition. J’ai douté un peu plus longtemps du jeu de Marc Citti, qui incarne un Sganarelle ayant un peu trop tendance à avaler ses répliques à mon goût, mais lorsqu’on s’y habitue cela fonctionne : le contraste avec le jeu de Maxime d’Aboville est flagrant ce qui accentue l’écart entre les personnages, et cette rapidité de diction sied finalement bien avec ce personnage dont les raisonnements se cassent le nez.
En bref, l’habit ne fait pas le moine : derrière cette mise en scène bien mal fagotée se cache une chouette proposition qui gagne à être vue.