Dominique Grange et Jacques Tardi publient chez Delcourt une bande dessinée où elle, Dominique, raconte l’histoire d’Élise et d’un mouvement que les politiques installés ont tendance à caricaturer, notamment en occultant la brutalité d’une période où Maurice Papon était ministre de l’intérieur et où machisme, homophobie, racisme, exploitation abusive étaient les usages d’une société inégalitaire et marquée par la « lutte des classes ». On a tenté de faire oublier les morts, ouvriers, mineurs, algériens, militants, pour donner de 1968 une image petite bourgeoise, laxiste, adolescente. Le livre de Dominique Grange et Tardi rappelle à juste titre la violence de cette décade, de 1962 au début des années 1970. Il montre le mouvement international qui s’est manifesté alors reliant des évènements qu’on présente souvent comme dissociés. Il dit l’espoir, la lutte politique, les souffrances du peuple, les progrès arrachés, annonçant d’autres progrès à venir, mais aussi le désespoir des militants ayant perdu l’organisation qui les soudait et leur donnait une base, la perte de repères et d’objectifs pour certains. Dans une émission à la radio, Tardi raconte que c’est en entendant Nicolas Sarkozy dire, en 2007, qu’il voulait liquider « une bonne fois pour toutes » l’héritage de mai 1968 qu’ils ont eu l’idée de raconter cette période qui fut celle d’une mobilisation sans pareille dans l’histoire du XXe siècle. De l’ampleur de cette mobilisation on doit convenir même si on ne partage pas toutes les convictions de Dominique Grange. Et il faut les remercier, elle et Tardi, de lancer aujourd’hui ce pavé dans l’actualité de l’édition.