A la demande de Poezibao, Mazrim Ohrti a rassemblé ces extraits du livre de Ryszard Krynicki, La pierre, le givre, éditions Grèges, qui viennent en complément de sa note de lecture sur ce livre.
J’étais ici
Un éclair, le hiéroglyphe du crayon s’éteint sur le mur –
Et l’incantation vaine répétée avec obstination
« Kilroy was here » comme des rites
rupestres. Dans la cavité du crépuscule le sans-domicile
déplie ses cartons pour la nuit. Personne
ne se reflète sur le mur.
(1990)
C’est ton problème
C’est ton problème à présent – s’entend dire
au lecteur de Blake son chat préféré,
lui apportant un poussin de mésange tout juste attrapé.
Quoi que
Je ne fais pas tout par amour pour toi.
Je t’aime.
quoi que je fasse.
Le Ginko
Être unique, partagé en lui-même
j’ai planté un ginko japonais
(à la mémoire de Goethe,
c’est clair.)
Je ne voudrais pas qu’il vive dans la solitude.
Cependant pour savoir à coup sûr
s’il est mâle ou femelle
il me faudrait vivre encore
au moins quarante ans.
Ce qui n’a pas l’air de s’annoncer.
Si mon père survit,
plantez-lui un compagnon,
plantez-lui une compagne
pour le restant de ses jours.
Chez les ginkos
une si fine différence d’âge
n’a guère de signification.
Esprit de l’escalier ou bien réponse tardive à certaine question
Malheureusement j’ai le réflexe lent.
C’est pourquoi j’aime tous les escaliers.
C’est pourquoi de temps à autre j’écris.
Tuerie humanitaire
Ces deux mots resteront contradictoires
dans toute langue humaine.
De même que boucherie humaine.
Massacre humanitaire.
Question de fin d’automne
D’où la fourrure hivernale sait-elle que sur les chattes des campagnes
elle doit pousser longue, dense et duveteuse
et sur leurs petites sœurs domestiquées
petites bourgeoises cracoviennes déjà
douce et rase ?
Il n’y a pas de mal
Traces de deux œufs cassés
au mur et sur le sol.
Que s’est-il passé ? – je demande naïvement
au Chinois souriant
avec amabilité qui surveille la salle.
Rien, il n’y a pas de mal – répond-il poliment.
Ça c’est de l’art.
(Musée d’Art moderne, Frankfort sur Main)
Une astuce
Au kiosk, je ne lis plus que les gros titres quand j’achète un ticket.
Pour l’argent épargné j’achèterai au bazar
un quelconque ouvrage, bestseller de l’année passée.
Ryszard Krynicki, La pierre, le givre, éditions Grèges, traduit du polonais par Isabelle Macor, 2021, 112 p., 18€