Photo: spectacle 'Foolsense' par l'école de danse Helen's DanceVendredi dernier au Grand Théâtre je suis filmé de tous les côtés, je voulais depuis ma plus tendre enfance que le projecteur soit braqué sur moi, la possibilité d'exister en fonction du regard des autres, ce matin-là, je venais de rentrer dans le café des jeunes et je me sentais observé, j'étais le centre de l'univers, je m'approchai du comptoir, la belle brune me demanda ce que ça allait être, je lui commandai un verre, mes yeux dans les siens, j'étais bien dans ma peau
le bel abruti que voilà
j'ai trouvé un amplificateur sur mon chemin, à travers lui je pouvais dire mes phrases à voix haute et forte, je me figurais que quelqu'un allait m'écouter
tout le monde avait trouvé le même amplificateur
nous étions plusieurs à marcher côte à côte, dans le désert, l'esprit asséché par le soleil, nos poussions nos cris en même temps, nos sons allaient dans tous les sens, nous ne cherchions plus à voir nos pauvres compagnons de route, l'amplificateur nous donnait des ailes, le monde était à portée de main
il n'y a pas de liberté dans l'expression, il y a une façon de se mettre à nu et sans défense
exposés aux yeux de tous, ils peuvent nous tirer comme des lapins.
on m'avait dit que cet espace était le mien, j'étais chez moi
je pouvais émettre mon opinion
mon émission trouverait toujours récepteur
ah la belle foire aux idées que voilà!
le grand immense monumental hypermarché de la réflexion et des trouvailles
rentrez, prenez, il y a à boire et à manger, une superabondance de faits et de gestes, d'opinions et de créations
invisibles, vous voyez tout
vous accompagnez les petits tracas et les grandes anxiétés de l'humanité branchée
moi, je continuerai à dire tout et son contraire
je revendique mon droit à la parole absurde
bien sûr que mon livre ne sera jamais virtuel
l'esprit de l'homme, indomptable, dans une cage?
le domestiquer, le rendre prévisible et contrôlable
obéissant à une succession de messages et de stimulus