Paul, mon cousin, le romancier, quand il s’était sérieusement attelé à l’écriture de son troisième roman, La Tectonique de l’âme et des choses de l’esprit, bien avant mes premiers doutes quant à la sincérité de V., et bien avant que la maladie de Jade n’obscurcisse définitivement nos consciences, et bien avant, aussi, que Maud ne choisisse Mogadiscio pour jouer les mères Térésa, Paul, mon cousin, le romancier, aimait nous rappeler à tous et à toutes (à Jade, à Maud et aux autres) de songer que les étoiles, les comètes, les astres qui brillent au firmament, les fracas de roches expulsées dans le vide sidéral, s’attirent et se repoussent en permanence, dans le même mouvement, jouets de forces contradictoires et symétriques, exactement opposées l’une à l’autre, de même intensité. Il suggérait par là, et ce fut le thème principal de son roman, que la permanence fragile de cette instabilité s’étendait aussi aux êtres, aux âmes et aux corps. Car sinon comment expliquer (sauf par d’autres chemins plus incertains encore) ce désir de nous fondre, de disparaître, de ne vivre que de balbutiements, alors même que nous cultivons, dans le même temps, la volonté de nous disjoindre, de nous dissocier, de disloquer cet entre deux qui nous aspire et nous épuise... Il expliquait également, en l’illustrant d’exemples quotidiens, que si ces mouvements contraires et puissants paraissent contradictoires, ils ne le sont qu’en première analyse car tout indique que, plus subtilement, ils permettent au système de conserver longtemps son organisation secrète. Du moins dans certaines limites ! Pour ma part, alors même que j’ignorais sincèrement être, avec V., aussi proche d’une rupture, je me disais que notre insistance mutuelle à toujours vouloir nous expliquer l’un à l’autre, nous justifier de nous même, de nos passions, avant de reconstruire, après coup, les fils d’une histoire qui déjà (et pour cette raison) n’était plus la nôtre devait, de toute évidence, être mise sur le compte des forces centrifuges. Ainsi, je me souvenais qu’à Lisbonne, dans une des ruelles qui descend vers le Tage, nous nous étions assis sur un muret, au milieu des chèvrefeuilles, des jasmins et de ces oiseaux multicolores qui disparaissaient dans les feuillages à mesure que nous voulions les surprendre. Un peu plus bas, un peu plus tard, près d’une fontaine où des enfants riaient, s’éclaboussant dans la lumière du soleil déclinant, nous avions goûté la dissonance plaintive d’un musicien d’occasion qu’exaltait, soudain, la présence d’une petite troupe de touristes pour chanter la nostalgie d’un fado. Sans doute pensions-nous secrètement, tous les deux, - mais comment se le dire ? - que ce chant parlait de nous, de l’ivresse de ces dernières années, des vies que nous aurions pu mener, loin de nous, des amours que nous avions croisés et sitôt oubliés. Tout un charivari douloureux dont il faudrait bien, pourtant, un jour ou l’autre, se défaire. C’est exactement de cela (de ce charivari) dont Paul allait parler dans son roman.