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Et Paul m’avait jalousé, d’une étreinte, ces trois semaines d’Italie (trois semaines de Toscane, de campagnes romaines, d’Istrie, de Vénétie, de routes tortueuses dominant l’éternité de la mer) avec Jade pendant lesquelles nous avions, elle moi, sillonné l’ivresse d’un été, elle pour le compte d’un éditeur de Bologne et moi qui était censé ramener au Journal quelques clichés de cette errance… Jade, tout à son bonheur d’avoir achevé son roman, rencontré le succès, construit une histoire… Jade devenue, alors, un peu plus que ce qu’elle était pour moi, pour Paul, pour nous, pour Maud… Jade qui n’avait de cesse de se référer à Paul. Et n’avait de cesse de l’appeler au téléphone… Jade, m’annonçant que son prochain récit aurait pour titre La tectonique des âmes et des choses de l’esprit et pour argument le fait qu’il n’y a de déplacement qu’insensible, invisible, secret, souterrain, m’assurant de sa conviction que les mouvements du corps, l’intrépidité de la chair, les inclinations de l’âme, les faiblesses, les hésitations répétées du désir, l’épuisement des sens, restent longtemps cachés, obscurcis, ajoutant que le désordre qui croit de jour en jour ne bouscule que l’ombre et les ténèbres. Et aussi que rien n’apparaît hors le chatoiement trompeur des certitudes immuables. Et aussi que la lente dérive des sentiments, l’exacerbation de forces contradictoires, l’ahurissante violence des tensions, poursuivent, dans la nuit, leur implacable dessein . Et aussi que le fracas qui, un jour, perce la lumière n’est rien que l’aboutissement d’un long processus. Et aussi que la brusquerie d’une dispute, le dégoût bien réel pour le visage de l’être jusqu’alors aimé, l’accès de fièvre ou l’impatience d’une ivresse sensuelle, ne sont rien que l’expression désordonnée, accidentelle, d’un perpétuel affrontement souterrain dont les enjeux dépassent, de beaucoup, les mots pour en parler. Et aussi qu’elle n’avait à peu près aucune idée de l’histoire, de l’intrigue qui lui permettrait d’illustrer ces convictions. Et aussi que cela (l’histoire, l’intrigue) n’avait, à ses yeux, à peu près aucune importance.