Voilà deux curiosas très rares, selon Jean-Jacques Pauvert, jamais rééditées depuis leur publication dans les années 1948/50, qui devraient réjouir les amateurs du genre. Un texte « La couleur des draps » de Jean Cau, secrétaire de Jean Genet et de Jean-Paul Sartre, caché sous le pseudonyme de Jeanne d’Asturie et « Carnet d’une invertie », de Nicole Autrain. L’association de ses nouvelles érotiques clandestines dans le même ouvrage surprend, tant le ton et le style diffèrent.
Le premier semble inoffensif d’un premier abord. La narratrice est une jeune fille de vingt-trois ans qui raconte sa vie toute simple dans son carnet et décide de le publier. « Elle a de la peau, des os et de la chair ». Elle aime Robert, un homme pas très sentimental, qui n’aime pas les œillades langoureuses et qui parle comme un Jean Gabin. Elle se lave, s’habille, se promène nue devant lui, elle fait l’amour n’importe quand , à n’importe qu’elle heure. Elle a des états d’âmes. Elle se pose des questions de tous les jours qu’elle partage avec son homme: Est-ce que le bâton gêne pour marcher ? Comment reconnaît-on un homme qui aime sa femme ? Comment sera ma vie quand je ne ferais plus l’amour ? La jeune femme déroule ses pensées, elle ne raconte que ce qui intéresse son amour pour Robert, même si à travers lui c’est le monde des hommes qu’elle observe. Car oui, elle le trompe parfois, et elle l’aime mieux après. Mon oreiller est un confessionnel, je les interroge, les confesse. Ils se livrent, se défendent, se trahissent. J’écoute et je n’oublie pas. Elle bavarde, on l’écoute, on est charmé par cette écriture qui cisèle les sentiments, qui étincelle crûment parfois au détour d’une page comme un petit diamant. Entre naïveté et désillusion, elle nous fait sentir qu’il n’y a qu’une chose dans la vie : le bâton des hommes, qui joue au bilboquet avec les femmes, mais surtout qu’une seule chose apprend une femme à vivre : c’est l’amour.
Changement de décor avec l’invertie. Dès la première page, nous voilà flanqué d’une gifle par Florence, une superbe lesbienne qui vit sa passion comme un raffinement supérieur. Elle a un amour quasi linguistique pour les lèvres (du bas) de ses amantes à tel point qu’elle use d’un appareil ingénieux nommé « prolonge-langue ». Mais ce qui l’intéresse le plus, ce sont les brutalités qu’elle fait subir à ses maîtresses. Elle jette donc son dévolu, aidée de sa rabatteuse, Paula l’hommase, sur Marie-Christine, un bel ange aux beautés assez évaporées, qu’elle viole à l’aide d’un godemichet. Bien sûr, la tendre victime, troublée par l’aventure s’abandonne à ses mains. Leur histoire est idyllique, mais Florence a bien d’autres tentations et idées en tête… Sur un rythme frénétique, le lecteur voyeur se mêle aux joutes amoureuses, aux gamahuchages, gougnottages, agaceries digitales, onanismes simultanés, mise en plis et coiffures de toisons, puis dans un mouvement crescendo assiste à des visions apocalyptiques de rondes de tribades jouant du godemichet, du coude, de l’inceste, du fouet, d’immondices et salivant jusqu’au sang les meurtres à venir. Cette fable de sexe, d’amour et de mort qui révèle les extrêmes où nous pousse la sensualité et notre désir de fondre en l’autre, finit sur une belle et surprenante métaphore. A découvrir.
Cet article est paru en Kiosque pour Le Magazine des Livres de Mars 2008 - Copyright Katrin Alexandre