Via Courrier International, article de Nikolaï Kireïev, paru dans Novyé Izvestia
Confronté au déficit de logement et de main-d'œuvre, la capitale russe envisage le regroupement d'ouvriers migrants dans des cités réservées. Ce projet fait craindre l'exacerbation de la xénophobie et des conflits interethniques.
Selon la mairie de la capitale, le secteur du bâtiment et de l'entretien s'apprête à recruter plus de 8 000 ouvriers étrangers en 2009. Tous ces maçons et agents de nettoyage devront bien être logés quelque part. "Ce secteur emploie beaucoup de personnes venues d'ex-URSS et d'autres pays étrangers, explique Svetlana Govoroukhina, porte-parole de la zone administrative Sud-Est. Ces immigrés qui arrivent du Tadjikistan, d'Ouzbékistan ou de Moldavie doivent avoir un endroit où vivre pendant qu'ils travaillent ici. Il nous semble qu'ériger pour eux une cité provisoire permettrait de résoudre le problème."
Les experts indépendants jugent que cette idée n'est pas des plus heureuse. "A l'échelle d'une mégalopole, construire des cités à part pour les immigrés risque surtout de constituer une première étape vers la constitution de quartiers ethniques qui vivront en marge des règles communes", redoute Nikita Mkrttchian, spécialiste en chef des migrations au Centre de démographie et d'écologie de l'homme. "De tels foyers monoethniques pourraient se transformer en ghettos fermés, coupés du reste de la grande ville et centrés sur leur culture, leur économie et leurs relations sociales propres. Cela ne ferait que compliquer encore davantage le processus d'assimilation de ces immigrés au sein d'une société qui leur est étrangère."
Les représentants des intéressés sont du même avis. Pour Karomat Charipov, président du mouvement russe des migrants du travail du Tadjikistan, "le problème n'est pas seulement que ces enclaves risquent de devenir des réserves qui obéiront à leurs propres lois, mais aussi que ce genre de cités pourrait représenter un fort attrait pour divers groupes extrémistes. Les skinheads n'auraient plus à se demander où chercher leurs victimes, il leur suffirait de se rendre à une adresse officiellement connue. A mon avis, la mairie serait incapable, dans le contexte actuel, d'assurer une réelle protection des immigrés. Des conflits éclateraient forcément."
Cependant, on évoque dans Moscou des solutions encore pires pour loger ces travailleurs. "Les responsables de la zone Centre ont ainsi proposé de les installer dans des immeubles évacués ou en cours d'évacuation parce que destinés à être rasés, jusqu'à ce qu'ils soient effectivement démolis, confie Mme Govoroukhina. Il a aussi été question de les placer dans des bâtiments en travaux. Si la mairie accepte, il est possible que, dès ces prochaines années, les immigrés aient un toit au-dessus de la tête." Un toit, certes, mais sans doute avec des trous dedans…
Les experts pensent que ces idées empreintes de xénophobie sont à rejeter. Les travailleurs étrangers devraient être logés avec des personnes venues de différentes régions de Russie, et certainement pas dans de vieux immeubles abandonnés et promis à la démolition. "Pourquoi se limiter à construire juste pour les gens d'Asie centrale ? ajoute Nikita Mkrttchian. Moscou compte de très nombreux provinciaux venus travailler dans la capitale. Eux aussi ont besoin de meilleures conditions de logement. La ségrégation imaginée par les responsables administratifs risque d'encourager la haine interethnique."
Photo : Novyé Izvestia
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