L'ampleur de la tâche de l'écrivain

Par Olif

Il serait presque indécent de passer sous silence cet événement gustativo-littéraire qui s'est déroulé dans la grisaille d'un mois de novembre jurassien, tant il fut riche en émotions, en échanges, en découvertes et en dégustations. Une Tâche d'une ampleur insoupçonnée, qui est venue parachever un week-end d'anthologie. Chose promise, chose bue...

Ce fut l'une des rares dates provinciales du Glou Guide Tour, pour ne pas dire la seule, à réunir les trois auteurs de cet ouvrage particulièrement gouleyant paru le 19 août aux Éditions Cambourakis. Co-organisée par Valentin Morel, vigneron aux Pieds sur terre, Didier Grappe, au nom prédestiné, et la Librairie polinoise, cette rencontre-dédicace fut comme une éclaircie dans le brouillard "polinien", prononcé à la mode journalistique "parisoise" amoureuse des vins du Triangle d'Or.

En guise de préambule, histoire de prendre quelque force avant de descendre dans l'arène polinoise, il fallait se restaurer. Saucisse, patates, salade et mont d'or chaud (une entorse à mon régime préférentiel habituel, constitué de saucisse, patates, salade et mont d'or froid, déposé sur la patate chaude), du consistant apte à rebuter un mannequin anorexique végétalien ou un boxeur mi-lourd anxieux de passer en catégorie lourd-léger supérieure. Devant l'ampleur de la tâche, il a fallu en ouvrir une. Elle était promise de longue date, pour arroser dignement une occasion mémorable, comme une soirée Glou Guide à Poligny en présence des trois auteurs, par exemple. La Tâche 2007, domaine de la Romanée-Conti, un vin si bon qu'il a failli éclipser le poulsard 2015 de Valentin Morel. Heureusement, il n'en fut finalement rien. Mais, d'une finesse superlative et d'une longueur néanmoins conséquente, on a bu là la quintessence de la Bourgogne voisine, celle qui ne cherche pas à body-builder ses grands crus pour tenter d'en imposer et de s'imposer dans l'univers impitoyable des vins de luxe. Une bouteille qui, évidemment, même si elle est très glou malgré son pedigree, coûte un bras, voire deux, et les jambes aussi, et n'est pas prête de figurer dans le Glou Guide, même dans le cinquantième opus, même en tenant compte de l'inflation, même si on rapporte le prix au dixième de centilitre. L'amateur avisé, généralement peu fortuné, ne pourra donc qu'exceptionnellement se l'offrir, même en économisant patiemment, chaque année, en achetant uniquement les vins à moins de 15€ figurant dans le Glou Guide

Après ce plaisir presque solitaire, mais bu à plusieurs, direction la librairie en passant par Mouthier-le-Vieillard, vieux quartier de soiffards du vieux Poligny, dans l'optique de ne pas trop se déshydrater avant de prendre la parole devant une foule en délire. Halte désaltérante chez Yves Roy, vigneron nøvice sans vice, ni sulfites ajoutés. Une jolie gamme, domaine et négoce ( O2Y, créée avec deux compères), mention particulière à Orange Manuel, poulsard albinos à l'œil orangé. Son premier coup d'éclat fut un pétillant naturel en canette de 20cl, un Jus de la folie en hommage à Hubert-Félix.

Lancée à vive allure, la discussion à la librairie a réuni pas mal de monde, des jeunes (du BTS viti-œno de Montmorot) aux moins jeunes, en passant par de vieux briscards, prompts au débat contradictoire, Michel Campy et Jean-Luc Morel en tête. Brassant différentes problématiques viticoles actuelles et les solutions à éventuellement y apporter, elle s'est clôturée par une dégustation de vins issus d'hybrides proposée par Valentin Morel et Didier Grappe. Seyve villard et léon millot ont largement surclassé Toyota ou Hyundai.

Pas de bonne rencontre-dédicace sans un after digne de ce nom et c'est le Barzing qui s'y est collé. Le contraste entre les rues désertes et embrumées de Poligny et l'effervescence bouillonnante et musicale qui régnait à l'intérieur du bar à vins fut saisissante. Une adresse de choix pour qui viendrait se perdre dans la capitale du Comté.

Sur les coups d'une heure du matin, la croix du Dan a soudainement transpercé le couvert nuageux, flottant dans les airs au-dessus de la ville. Alleluia! Victimes de cette apparition lumineuse, nous sommes allés derechef brûler un cierge et une bûche dans la cheminée, non sans s'être au préalable purifiés le corps et dessoiffés l'esprit avec une bière haut-saônoise de la brasserie Ney, brassée avec des marcs de trousseau ou de ploussard de Valentin Morel. Ho Wouais!

Si la Tâche fut d'abord ample, la plus rude sera finalement de se remettre sans dommage de ce week-end de folie...