Il avait le cadavre d'un mec probablement dézingué et jeté sur le catafalque de Brunswick alors qu'il eut été si facile de le balancer par la portière dans le parc de la Perle du Lac ou directement à la flotte.
L'inspecteur Clébard est un curieux flic et un flic curieux. Il porte bien son nom. Après un an d'instruction, son côté fouineur, vite repéré, l'avait orienté rapidement vers la PJ où, depuis, il excellait, même si les procédures et les règlements lui étaient un peu étrangers.
Le témoin, surnommé Manhattan, du nom d'un bar de la rue de Berne où il [passe] ses soirées et ses nuits, était en train de soulager sa vessie sur son platane préféré quand deux mecs sont sortis d'une bagnole, ont jeté le bougre sur le Duc et sont repartis à toute allure.
Le bougre n'était pas mort. Il a eu juste le temps de dire trois mots avant de rendre son âme à Dieu: Ite missa est. D'après les papiers laissés sur lui, il s'agit d'un commissaire de police vaudois, Yves Mueller, marié à Françoise, et demeurant avenue Victor-Ruffy à Lausanne.
Pourquoi donc avoir jeté le corps de Mueller à cet endroit-là, précisément? C'est le Mystère du Monument Brunswick, situé à Piogre (c'est-à-dire Genève, pour les initiés), dans le Jardin des Alpes, Quai du Mont-Blanc. L'affaire se complique avec la mort de sa femme...
Accompagnée d'un ecclésiastique, le curé de la paroisse de Guin, elle venait se recueillir sur le corps de son mari, mais à l'entrée en gare de son train, sa tête, presque séparée de son corps, dépassait de la portière d'un wagon. Selon le curé, elle venait d'aller aux toilettes.
L'inspecteur Clébard et son homologue vaudois, l'inspecteur Truchet, sont chargés de l'enquête sur ce double meurtre, Françoise Mueller n'étant pas morte accidentellement. C'est une collaboration décidée par la Cheffe genevoise, Malfanti1, et le Chef vaudois, Kernen2.
Le Monument Brunswick, érigé au XIXe siècle, à la demande de Charles II, duc éponyme, est la réplique du tombeau des Della Scala à Vérone. Peut-être le mystère sera-t-il résolu si un lien est établi entre le modèle et la copie. Aussi les deux inspecteurs s'y rendent-ils.
Une autre piste, la thaïlandaise, suivie par Jules et Jim, pourrait être la bonne; elle s'ouvre après la dépose sur le monument piogrois de la dépouille du sergent Crettenand, adjoint de Clébard, resté enquêter en Suisse, tandis que son patron et Truchet allaient à Vérone.
Le Groumeur3 s'amuse beaucoup à raconter cette histoire abracadabrantesque, pour reprendre l'adjectif popularisé par Rimbaud (qui l'emploie dans Coeur volé). Il l'agrémente de quelques vaudoiseries et genevoiseries, et même gauloiseries, du meilleur effet...
Au passage le narrateur égratigne avec humour le politiquement correct, fait des allusions moqueuses à des personnalités helvétiques, insère quelques savoureuses N.D.R., où il souligne, par exemple, combien il sait féminiser des expressions mieux que quiconque...
Au cours de ce récit palpitant, bien avant l'épilogue, le narrateur prévient que le lecteur ne sera pas débarrassé avant la fin de ce polar, de Manhattan, qui arrose toujours au bon moment son platane: Avec lui, t'en as pour ton blé et t'as même pas besoin de demander:
Le plus difficile est de le faire taire...
Peut-être, mais il vaut mieux l'écouter...
Francis Richard
1- Son nom dans la vraie vie est Monica Bonfanti...
2- Son nom dans la vraie vie est Jacques Antenen...
3- Son nom dans la vraie vie est Eric Lehmann; il tient sous ce pseudo, qui signifie mécontent, râleur, un des blogs de la Tribune de Genève, qui n'engage que lui...
Le mystère du Monument Brunswick, Le Groumeur, 240 pages, Slatkine