Roman - 240 pages
Editions Aux forges de Vulcain - mars 2021
Louise est une jeune femme très conformiste, d'une famille bourgeoise catholique aisée, sortant d'une grande école de commerce, et travaillant au sein d'une multinationale en charge des sauces aux légumes. Karim est issu d'une famille d'immigrés marocains, modeste, il a fait Sciences-Po et est athée. Tous les deux se rencontrent lors d'une réunion du Parti Centraliste du 17e arrondissement de Paris. Ils se remarquent, s'attirent, s'aiment. Ils sont majeurs, ils sont libres, ils vivent leur bonheur. Mais vient le moment de s'inscrire dans la société, de répondre aux attentes comportementales et sociétales, de ne pas tout se dire, de faire plaisir à l'autre, de ne pas le contredire.
Ni seuls ni ensemble, ou l'autopsie d'une histoire d'amour. Avec une narration toute particulière, un angle de vue de dissection et d'introspection, Marie-Fleur Albecker nous captive et nous capture, nous enfermant dans ce duo contemporain, au milieu de ce couple ; ni seuls car très, voire trop entourés par les familles respectives qui posent leurs cadres sociaux et moraux, et par l'entourage politique de Karim qui jalonne sa carrière et lui vole son temps libre disponible ; ni ensemble à cause de tout ce qui les sépare.
Extrait :
"Si on leur avait demandé de comparer leur vie entre leur mariage, et la nomination de Karim en tant que secrétaire d'Etat aux Territoires, à une route, voici ce qu'ils auraient répondu (on ne le leur a jamais demandé, mais c'est l'exercice du jour) :
LOUISE
Ce serait une route de montagne, de moyenne montagne, attention, par exemple une route des Vosges, qui serpente au milieu d'une forêt de sapins. Après chaque virage, on espère voir, enfin, une trouée dans le mur de troncs de la forêt, apercevoir la vue. Mais non, ce sont de nouveaux troncs bruns et lisses, coiffés juste sous la voûte des feuilles (car les épines sont des feuilles, après tout) de petites touffes de branches nues et craquantes, comme un étrange duvet ébouriffé. Il a plu, ou c'est le matin : du sol monte un brouillard comme d'une solfatare, peut-être féerique, peut-être fantomatique. l'ombre ne te quitte jamais, même si quelques rayons de soleil parviennent parfois à percer la canopée : ils donnent une idée du monde du dehors, ils disent que le soleil reviendra. Pourtant on ne le voit jamais."
J'ai dévoré ce livre qui m'a impressionné par sa clairvoyance, par tout ce qui est souligné, pour ne pas dire dénoncé sous couvert d'un ton grinçant si lucide et novateur. L'histoire de Louise et Karim est aussi le récit d'un déséquilibre qui se déplace. Louise est privilégiée, rangée, Karim a moins d'appuis, de réseau, va connaître le chômage, et pourtant, un lent renversement aura lieu sous nos yeux, une dépendance qui change de camp, un carriérisme qui s'affirme au travers d'une ascension politique volontaire, et une solitude qui entraîne un soutien sans faille et un désir de maternité comme le dernier espoir d'un accomplissement vital. C'est aussi un récit fort contemporain sur l'accomplissement à travers la carrière politique et l'ascension au pouvoir, avec un personnage secondaire comme le Roi Soleil qui attire les ambitieux, ou un Nicolas Macron. Egalement, à travers Louise se lit avec un peu d'amertume les pressions sociales auxquelles certaines femmes se conforment trop.
L'avis de - L'Atelier de Ramettes 2.1
L'avis de - La Page qui Marque