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(Note de lecture), Gabrielle Althen, La Fête invisible, par Michaël Bishop

Par Florence Trocmé


Gabrielle Althen  la fête invisibleLong poème tripartite de la joie, de la célébration, et de ce qui risque de les fragiliser, les rendre inaccessibles ou simplement élusives, équivoques, La fête invisible reste surtout, et crucialement, poème, sautant par-dessus toute flagrance sentimentalement lyrique afin d’installer ce que Reverdy nommait ‘l’émotion poétique’ avec sa stricte ‘réalité poétique’ fondée sur une tensionalité du ‘juste’ et du ‘lointain’, de l’appréciable et de ce qui, plus ou moins phantasmagorique, dépasse celui-ci. C’est ainsi que cette quasi-thématique, qui semble sous-tendre le poème, du néant et de l’être, de la présence et de l’absence, mue sous nos yeux, change de peau et se glisse dans les vrais habillements de sa beauté, autre, sur-réalisante, frêle certes, mais infailliblement vivace dans sa pure poïéticité, la visible vision de son poïein. Nombreux sont les épigraphes qui contextualisent une poétique cherchant à fuir tout acquiescement dans ce qui peut menacer de réduire la force strictement créatrice, transcendante, du poème, son jubilatoire transpercement d’un réel compris comme offrant, malgré si souvent les apparences, splendeurs du naturel et du merveilleux, du donné et de l’inventable, d’un ‘invisible’ toujours à guetter, traquer : Lorca, Tzara, Tranströmer, Pilinski, Hölderlin, Yeats – et, dans les coulisses, inoubliable pourtant pour Althen, Char.
Le poème intitulé L’imparable, avec son évocation épigraphique de Lorca, reprise d’ailleurs dans les derniers mots du poème, révèle cette détermination à puiser dans l’expérience du moment cela qui, au-delà des impulsions qui peuvent pousser vers le moins énergisant, le moins visionnaire, le vaguement mélancolique, saisit la chance de ‘l’imparable’, d’une irrésistible energeia comprise comme une espèce d’absolu qui ne cesse de faire pleuvoir sa fabuleuse et délicate étrangeté :
La pluie te lave et tu appartiens comme les étoiles appartiennent. C’est le temps qui te regarde, où tu lis ton miroir. Votre face-à-face traverse l’univers. On voit aussi le jardin qui commence. Entre la porte qui grince et des forêts d’épieux, la majesté du moment se pose sous le grain de la pluie. Tu peux cesser de t’affoler.
Mais, sous mes pieds butés, s’embrouillent des chemins qui ne vont pas à des jardins…
Tes théories se taisent, dont tu étais l’esclave. Tu n’avais fait que te tromper de porte, sauf que vient parfois de la terre et calmement y campe un nuage sans infamie et repu de clarté. (42)
De telles touches de subtile voyance – pourtant signes de grande et jaillissante vigueur – percent partout ce voile que le regard non cosmiquement et autrement disponible ne réussira pas à dissoudre. Le poème À bon port, offert à la mère de la poète, illustre avec la beauté d’une transparence illuminée, cet écart majeur entre un réalisme trop enraciné dans le manifeste et une poésie du grand réel :
Avec d’infinies précautions, elle se mit à marcher nue, musicalement, contre le ciel. Entre sa vigilance et sa solitude de jeune fille retrouvée au fond de l’âge, le bagage était vide et, si elle tremblait encore un peu, ce n’était plus d’impatience, ni même à force de vouloir, mais que les courbes de l’amour chantaient ainsi sous son regard qu’elle s’en éblouissait sans le savoir. (101)
On aurait pu penser que les poèmes de ce beau recueil, ceux de la première suite, intitulée Rumeurs du néant, ceux de la deuxième suite L’éclat rétractile et ceux de la dernière suite, La fête invisible suivraient un arc que les titres paraissent tracer, mais, si on discerne le résidu d’un mouvement que colore quelque discrète émotion brute allant de ce qui risque d’opprimer vers cela qui ne réjouit qu’avec ambiguïté, pour pressentir et enfin vivre pleinement ce qui exalte, ce qui l’emporte partout, au-delà de ces distinctions vaguement appréciables, c’est l’implacable sentiment précisément de ce grand réel, ce merveilleux à la fois des choses qui sont et d’une vision spirituelle, au sens très large de ce terme, qui refuse de se laisser noyer par les flagrances d’un œil, d’un esprit, ne visant que trop bas. ‘Damnation, lit-on dans Rumeurs du néant, : une fleur, en passant, m’a demandé un avis – que je n’ai pas donné’ (29). ‘Jour trop nu, nous dit un des poèmes de L’éclat rétractile, le vide de l’éclat demande à la passante de le réinventer. Elle regrette la couleur et pleurniche, ignorant que le défaut est une main parfois de la surabondance’ (36). Ou, dans la longue suite éponyme, choisissant au hasard, et parmi tant de petits joyaux, on tombe sur ce beau morceau magique : 
Suis-je heureuse? demande l’’âme qui se trouve si peu sûre dans cette fête, et elle l’était, mais ne le savait pas.
De la même façon, je me croyais seule, alors que j’étais comprise à l’intérieur d’une pupille céleste aussi inchoative qu’un mot d’émoi parfait.
Le temps devrait danser sur ce pivot (114).
Délicats et robustes, tendres et dynamisants, francs et étonnants, les poèmes de La fête invisible ne cessent de chercher la voix d’une illumination, d’un horizon improbable mais atteignable si l’œil et l’esprit n’oublient jamais le puissant et exaltant mystère qui les autorise. Un très beau et très fin recueil.
Michaël Bishop
Gabrielle Althen, La fête invisible, Gallimard, 2021, 128 pages, 14,50 euros.


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