Il y a un mois environ, l’écrivain camerounais Patrice Nganang a fait un séjour bref en France. J’ai eu l’opportunité de le rencontrer ainsi que son éditeur. J’espère pouvoir vous restituer une partie des échanges que nous avons eu à propos de la parution de deux nouveaux romans : Premier président noir de France et Les aventures de Mboudjak, le chien philosophe, tous deux publiés chez Teham.
J’ai lu le premier roman. Premier président noir de France. En arrivant à Château-Rouge où nous avons rendez-vous, je prends la fameuse rue Dejean qui l’artère principale du marché africain de Paris. Patrice discute avec un marchand. Il lui tend un prospectus. Un caméraman derrière capte l’échange. Je papote avec son éditeur, Teham Wakam. Patrice est en campagne. Une campagne littéraire. Son prospectus est un document de campagne « électoral » proposant le choix d’un président noir en France. Il continue de marcher, arrête les passants comme les évangélistes interceptent hommes et femmes pour leur annoncer la Bonne Nouvelle. Tout en discutant avec Teham, je suis la réaction des interlocuteurs de Patrice. A la question : « Que pensez-vous de l’élection d’un premier président noir de France ? », une dame lui répond « Peut-être faudrait-il déjà se battre pour que les choses changent en Afrique ». Certains dans ce quartier populaire trouvent l’idée saugrenue d’autres plutôt engageante. Un jeune marchand se lance dans un long rap qui me permet de deviner ses origines réunionnaises. Emporté par son flow, Patrice Nganang dodeline de la tête avant de danser. Boulevard Barbes, 11:30. Je pense qu'il n'y a qu'à cet endroit de Paris qu'on peut rencontrer un grand écrivain entrain de danser sur le rythme d'un rappeur.
Dans Premier président noir de France, le contexte est très différent. Un président noir a été élu en France. Nous sommes en 2050. Patrice Nganang nous plonge dans un roman de prospective. Un enseignant américain d’ascendance africaine s’installe pour plusieurs semaines dans le sud de la France avec sa femme et son fils. Ils viennent des Etats-Unis, mais lui, maîtrise la langue française. L’objet de leur présence est la possibilité d’un interview du président Thibault. L'élection de ce dernier lui rappelle de vieux souvenirs :
"Et puis l'espoir que sa première élection avait fait naitre ! Je dirai d'ailleurs d'ailleurs, l'excitation qu'elle avait réveillée en moi, ce qui m'avait jeté dans mes propres souvenirs, dans ces histoires que mon père nous racontait, de sa campagne de porte à porte à Baltimore pour Barack Obama, son euphorie célébrant 'notre' victoire à Upton..." (p. 10, éd. Teham)Apparemment tout semble normal. L’universitaire a un rythme de vie tranquille, sa femme prend en charge pas mal de choses. Elle est autonome, télé-travaille, gère sa carrière sans avoir de contrainte géographique. Elle est connectée à la matrice : l'Internet. Le monde réel est toutefois présent dans ce village dénommé Tourtour à proximité duquel réside le président Thibault. Il faut s’organiser pour la scolarisation de l’enfant, aller le déposer et le chercher, trouver un créneau pour satisfaire sa belle, toujours autant désirer.
Sur le front des écoles, c'est désormais Egalité, Fraternité, Liberté, Laïcité. (p. 13, éd. Teham)Il y a aussi des figures dans ce village avec lesquels le narrateur finit par connecter comme Paul.e et Emmanuel par exemple. Le lecteur doit être attentif au moindre détail de la narration parce que si tout semble figé dans le temps et qu’on pourrait avoir la même perception des choses aujourd'hui dans un village des Alpes de Haute Provence, des séquences nous indiquent, progressivement, au fil de l'évolution que la France a connu de grandes mutations et que Thibault, premier président noir de France n’est pas là par hasard. Patrice Nganang part d’une réalité pour ces personnages où la question raciale ou queer n’est pas présente, puis progressivement les choses sont moins clairs, moins évidentes. Il est certain que si Eric Zemmour tombait sur ce roman, il verrait certaines de ses prédictions accomplies à son grand désarroi. L'objectif pour notre narrateur est de saisir une opportunité pour interviewer cet homme d'état dans le cadre d'un podcast. Mais la prise de contact est plus complexe que prévu. Pour quelqu'un que les médias appellent par son prénom, comme n'importe quelle femme politique (à tort), Thibault n'est pas accessible.
Il parlait toujours de lui comme s'il s'agissait d'un voisin, d'une connaissance, d'un proche en fait. Pas d'un ami, certes. Sans doute est-ce d'ici que vint ma surprise devant les difficultés d'accès que je rencontrai. (p. 9, éd. Teham)Comment Thibault est devenu le président noir de France ? Qui est-il ? Dans la catégorisation des fictions que propose Patrice Nganang, on peut classer ce roman dans le Ncho. Des histoires peu complexes qu’on peut se raconter dans un salon ou découvrir dans une série télé du genre Westworld (1). Je le dis parce que même au niveau de la forme, il y a une décontraction de Patrice Nganang, voire un laisser-aller, qui surprendra les lecteurs de l’écrivain camerounais. Toutefois, avec des mots simples, il y a un discours sur le remplacement qui ne prend les formes attendues, un abord original d'un communautarisme, la conquête du pouvoir. Il s’agit certes d’un exercice littéraire auquel s’est adonné l’écrivain camerounais, provocateur certes, mais qui a bien conscience que pour que les choses changent en périphérie, il faut conquérir le centre. C’est politiquement incorrect d’oser penser cela. L'écriture joue magnifiquement sur la question de la race. Parce que malgré le titre, la question parait au départ complètement éludée. Le verbe paraître est très intéressant Sommes-nous alors encore dans le Ncho ou dans le Toli ? J'aime aussi son propos subliminal sur la famille, sa mise en scène avec beaucoup d'amour.
Patrice Nganang, Premier président noir de FranceEditions Teham, 137 page, à paraître en janvier 2022, pré-commande possible.(1) Westworld, série télévisée mettant en scène un monde où les humanoïdes tentent de prendre le pouvoir.