1.
Un dieu rétif au bord de mon lit,
six anges aux ailes lasses,
force dix et bas-fonds
survolés le vent debout, tempête sur la mer.
Dans la nuit je vois les lumières d’en face,
je regarde les anges qui semblent me connaître,
veulent m’emprunter ma couette et puis aussi le lit
où d’ailleurs je ne trouvais pas le sommeil.
Le dieu ressemble au capitaine du ferry,
les lapins que je voyais courir dans l’ombre
avaient peur du chasseur, le phare
et sa lumière tombaient à travers chambre
mais à part ça tout allait bien.
*
2
Sur la sente des dunes j’ai rencontré ma mère,
Mais elle ne m’a pas vu. Elle parlait à une autre
dame et je l’entendais dire : tout le monde
ici m’apprécie.
Elle était bien réelle, je le savais au bruit
du gravillon de coques sous ses pieds.
Puis j’ai vu mon frère et mon demi-frère
cheminant avec leur passé, le même que le mien,
chaos, fébrilité. La mer du Nord roulait de vives crêtes,
la plage était déserte. Mes frères étaient transparents.
A travers eux je voyais le sentier. Je voudrais à présent trouver un trésor,
une dent de baleine apportée par la mer, ou de l’or,
et tout alors s’arrangerait.
*
3
Tout le monde n’a pas un phare dans sa vie,
mais j’en ai dans la mienne. Aujourd’hui dans l’autre île,
marché jusqu’au phares, pluie, mouettes
qui crient. La nuit j’ai pu rester près du gardien
qui faisait mine encore d’exister. Il notait,
navire par le nord, force du vent. Et j’ai vu
dans le noir une lumière sur les vagues, et tout
près ce qu’il écrivait d’une main surannée.
Mort, lui, de longue date. Écumé toutes les mers, vu tous les ports,
Arkhangelsk, Valparaiso, poème du médecin de bord.
Quart en haut, quart en bas, nuit sur le phare, brick par le nord,
fumer, noter, se taire, lumière sur la dune,
le phare aujourd’hui sans personne.
Cees Nooteboom, L’œil du moine, suivi de Adieu, poèmes traduits du néerlandais (Pays-Bas) par Philippe Noble, dessins de Max Neumann, Actes Sud, 2021, 112 p., 14,5€, pp. 11-13.