Élysée 2022 (12) : Surenchères désolantes pendant le deuxième débat LR

Publié le 15 novembre 2021 par Sylvainrakotoarison

" La force de la droite doit être de parler de tous les sujets et pas seulement de l'immigration, qui ne couvre qu'une partie des problèmes français. Il faut aussi incarner le camp du progrès. " (Jean-François Copé).

Ce dimanche 14 novembre 2021 à 20 heures 45 sur BFM-TV et RMC a eu lieu le deuxième débat des cinq candidats à la candidature LR à l'élection présidentielle de 2022. Apolline de Malherbe et Maxime Switek ont animé ce débat. Il y avait une caractéristique stratégique puisque la date limite des adhésions à Les Républicains pour participer au scrutin était le surlendemain, mardi 16 novembre 2021. Au moins 125 000 personnes ont adhéré à LR, ce qui bat les inscriptions à la primaire semi-ouverte des écologistes de septembre 2021. En revanche, ce nombre est loin des 200 à 300 000 adhésions de l'UMP à l'époque de Nicolas Sarkozy. Michel Barnier a eu la chance d'être placé au centre et avec sa grande taille, il pouvait se montrer leader.
Avec ce deuxième débat, on a l'impression de routine. Une impression de voir un nouvel épisode d'une téléréalité. Les cinq candidats, Michel Barnier, Valérie Pécresse, Éric Ciotti, Xavier Bertrand et Philippe Juvin ont été globalement "bons", c'est-à-dire qu'ils ont été tous à la hauteur des attentes de leurs soutiens. Ce qui, d'ailleurs, n'arrange pas les affaires de LR : en effet, si un candidat se montrait "mauvais", ce serait un choix en moins à faire.
C'est même le contraire du point du vue du choix : ceux dont on disait qu'ils étaient des "petits" candidats ne sont pas à négliger.
Éric Ciotti est toujours très clair et courtois dans ses propos, ses propos sont extrémistes (j'y reviendrai) mais il les dit avec une politesse sympathique qui en fait un bon camarade. Il a un projet qui se distingue par son côté caricatural, pas seulement sur la sécurité et l'immigration (désormais deux thèmes toujours accolés, ce qui signifie le triomphe idéologique de Le Pen père) mais aussi sur l'économie et la fiscalité (je l'ai déjà présenté, il propose la flat tax, 15% à taux unique).
Éric Ciotti n'hésite pas à prôner le "quoi qu'il en coûte" dans sa version sécuritaire, c'est-à-dire la fermeté contre les rodéos, contre les zones de non-droit... même si la fermeté peut faire de la casse, humaine. C'est du "quoi qu'il en coûte humainement". Pourtant, l'intérêt de la nation, c'est aussi d'éviter des catastrophes humaines, des morts inutiles, et jouer au bourrin n'a rien d'une politique de fermeté, c'est même de la provocation et c'est mettre certains quartiers en état de guerre. Pas très responsable.
Philippe Juvin est un peu différent. Dans l'émission de Laurent Ruquier du 13 novembre 2021 ("On est en direct"), un de ses chroniqueurs se moquait gentiment. Comment David Pujadas (dans le premier débat) a-t-il pu poser la question à Philippe Juvin sans pouffer de rire : "Si vous étiez Président de la République, que feriez-vous pour..." etc. Et Philippe Juvin a répondu sans rire : "Quand je serai Président de la République, je...". Pour ce débat-ci, il a reculé d'un cran sa prétention en disant plutôt "Si je suis Président"...
Cela n'ôte pas qu'il parle clairement et intelligiblement. Il a été député européen, il est maire, il est conseiller régional... et il a la démarche du candide, c'est-à-dire que lorsqu'il a compris un truc, il le réexplique bien. Il a aussi le réflexe professionnel de bosser un dossier : il potasse quand il ne sait pas. Cela donne un peu de lucidité, par exemple : pourquoi dire que les règles européennes ne permettent pas de faire de la richesse industrielle alors que l'Allemagne y réussit avec les mêmes contraintes ? Cela donne aussi quelques propositions, il se distingue des autres surtout par sa défense du service public. Il refuse de réduire le nombre des fonctionnaires, au contraire, il pense qu'on a besoin de services publics dans les zones de non-droit. Son problème, c'est qu'il fait quelques propositions ponctuelles (qui sont originales, qui valent ce qu'elles valent), mais sans un projet d'ensemble, sans une vision d'ensemble.
Ces deux candidats pourraient parfaitement franchir le premier tour. Je ne pense pas pour Philippe Juvin, car il a le gros handicap de ne pas vraiment faire partie du sérail et d'être d'abord un médecin, mais Éric Ciotti, militant député depuis quatorze ans, fait partie des meubles de LR, et j'imagine qu'il a beaucoup de militants qui le soutiennent, et pas seulement en Alpes-Maritimes.
Pourtant, beaucoup d'observateurs en restent aux trois "grands" candidats : Michel Barnier, Xavier Bertrand et Valérie Pécresse.

Après le manque de combativité du premier débat, on pensait que Michel Barnier serait un peu plus alerte dans ce deuxième débat. Oui, il l'a été mais à peine plus. Il reste plutôt dans une mollesse de caractère et dans le flou des mesures. Son envie est le consensus et la réconciliation : réconciliation de la famille LR et réconciliation des Français. Pourtant, depuis deux mois, il s'est discrédité. Son image de centriste européen avait un avantage : il pouvait rattraper les sympathisants LR attirés par Emmanuel Macron. En prônant un droit du sang pour Mayotte et la Guyane (trop d'étrangères se faisant accoucher en France pour avoir la nationalité française), en limitant voir supprimant l'immigration légale, il a pris de court tous ses concurrents ...par leur droite (par ailleurs, après avoir parlé de Mayotte et de la Guyane, il a dit "Et chez nous", excluant ainsi du territoire national ces deux territoires). Conséquence logique, ceux des anciens sympathisants qu'il pouvait attirer repartent.
À force de frayer avec les grands de ce monde, Michel Barnier a ce même défaut qu'avait eu Dominique Strauss-Kahn (heureusement, pas tous ses défauts), celui d'être coupé avec les classes populaires et de ne s'adresser qu'à une élite (par exemple, quand il parlait du rapport d'un magistrat de la Cour des Comptes). Par ailleurs, en donnant l'exemple à Meaux avec la police municipale armée et en vidéoprotection, Michel Barnier laisse entendre qu'il est soutenu par son maire, Jean-François Copé, encore présent dans les médias mais ses propos sont rarement repris et amplifiés.
Xavier Bertrand, lui, est ultra-agaçant avec ses réponses sous forme de questions : "Vous trouvez ça normal qu'il y ait plus de pauvres ?" (ce n'est pas exactement ses propos, mais c'est à peine caricatural). S'il ne le faisait qu'une ou deux fois, cela ne se verrait pas, mais il le fait à chaque question, avec un silence à la fin de la réponse-question et le regard fixe : ce n'est pas aux journalistes de répondre aux questions, c'est aux candidats ! Il essaie en fait une façon de faire de Nicolas Sarkozy qui avait beaucoup fonctionné entre 2002 et 2007, mais qui a ensuite beaucoup agacé. Il essaie de l'imiter, l'imiter mal, et c'est à mon sens contre-productif. En ce qui me concerne, je n'entends plus que ses questions, pas ses réponses.
Quant au "gaullisme social" revendiqué ad nauseam par Xavier Bertrand, il faut le répéter, c'est stupide d'accoler l'adjectif social au gaullisme, cela voudrait dire qu'il existe des gaullismes antisociaux. C'est un tout, le gaullisme, et c'est une époque. Dire ce que penserait le Général De Gaulle de notre situation : dette publique, covid, crise entre la Pologne et la Biélorussie etc. C'est juste de la récupération.
Xavier Bertrand aussi a parlé du référendum d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie qui aura lieu le 12 décembre 2021, il a été scandalisé par le silence et la neutralité d'Emmanuel Macron alors que c'est un territoire stratégique pour rester présents dans la zone Indien-Pacifique. Valérie Pécresse a été plus convaincante sur le sujet en rappelant qu'il n'y a pas vraiment d'incertitude sur l'issue de ce référendum puisque les indépendantistes le boycottent. Elle affirme que ce dernier référendum va enfin refermer le processus des Accords de Matignon qui, depuis 1988, avaient plongé l'île dans l'incertitude du lendemain et découragé les investisseurs.
Enfin, venons-en justement à Valérie Pécresse. Elle a été combative comme dans le premier débat, et même mieux qu'au premier débat. Si je devais mettre un avantage à l'un des candidats pour ce deuxième débat, ce serait pour elle. Elle a son projet, elle le déroule sans anicroche, elle montre sa détermination, elle montre aussi sa crédibilité de pouvoir l'appliquer là où Xavier Bertrand et Michel Barnier sont sur leur piédestal et restent flous. Valérie Pécresse a la culture du résultat et utilise beaucoup mieux que Xavier Bertrand son expérience de présidente du conseil régionale d'Île-de-France. Et elle le fait tant dans le domaine régalien (sécurité) que dans le domaine économique (entreprises).

Le deuxième débat comportait quatre parties, mais la première partie sur l'immigration a duré bien plus qu'un quart du temps imparti. À les écouter tous, je dis bien tous, on a le tournis avec l'évolution idéologique de LR. Tous font de la surenchère lepeniste, et même zemmourienne. Seul Michel Barnier a montré son agacement aux journalistes sur des questions qui font toujours référence à Éric Zemmour, mais malgré cela, ils cherchent à l'évidence l'électorat de l'extrême droite. C'est un mystère : plus ils s'enfoncent dans cette stratégie, plus ils renforcent Emmanuel Macron qui essaie d'être raisonnable et de ne pas être influencé par un influenceur médiatique extrémiste.
Car l'idée qu'ils pourraient rallier ceux qui soutiennent aujourd'hui le polémiste est un leurre : ils ont perdu cet électorat parce qu'ils sont trop mous sur l'immigration (tous sauf Éric Ciotti) et donc, auprès de cet électorat (probablement anciennement LR), ils ont perdu toute crédibilité et ce n'est pas parce qu'ils répéteront ce que dit le polémiste extrême qu'ils seront plus crédibles alors que justement, Michel Barnier, Xavier Bertrand et Valérie Pécresse avaient construit leur image, par leurs propos et par leurs actes, dans une idée modérée de la droite (d'ailleurs, ils parlent tous de la droite et ils oublient le centre dont certains soutiendront pourtant le candidat issu de LR).
La palme du sophisme de cette soirée est à attribuer à Éric Ciotti qui a dit, en introduisant ses propos sur l'immigration : " Seule la fermeté sera gage d'humanité. ". La formule est belle, dite avec un grand sourire, mais c'est de la novlangue. Refuser le regroupement familial, par exemple, c'est peut-être arrêter des abus, certes, mais c'est aussi empêcher des enfants de rejoindre leur père aussi. Au lieu de dire à tout bout de champ qu'on ne peut plus accueillir les immigrés, qu'il faut qu'ils s'assimilent, il faudrait peut-être se donner les moyens d'une bonne intégration, d'une bonne assimilation, par exemple, lever des armées de professeurs de français en langue étrangère, des professeurs d'éducation civique, d'histoire, de géographie, de droit, etc.
Philippe Juvin, à cet égard, avait une formule juste inverse : la première chose à laquelle il pense, c'est à la préoccupation humanitaire des migrants venus de Biélorussie et qui commencent à mourir de froid et de faim (déjà une dizaine de décès). Et c'est parce qu'il y a cette humanité qu'il peut ensuite prôner la fermeté. Professeur de médecine, il a évidemment déclaré qu'il soignait toute personne se présente à son service, quelle qu'elle soit, car c'est sa vocation de soigner, de réduire la souffrance humaine.
Tous les propos honteusement extrémistes sur l'immigration sont des propos théoriques à vocation démagogique. J'ai connu un élève de terminale moldave de 17 ans qui était un excellent élève et qui aurait dû continuer ses études, mais en juillet, il a été expulsé comme sa mère parce qu'ils étaient en situation irrégulière (c'était à l'époque du gouvernement de Dominique de Villepin et de Nicolas Sarkozy à l'Intérieur). Il ne faisait de tort à personne et au contraire, il aurait été la fierté de la France comme il aurait été fier d'être français. Les Leonarda provocatrices sont peu nombreuses par rapport à ceux qui veulent travailler, qui aspirent juste à une vie normale. Le voyage était déjà traumatisant, et je conçois qu'on ne peut pas recevoir tout le monde, mais il faut aussi observer, d'où le problème à Calais, que les migrants ne veulent pas forcément aller en France mais en Allemagne ou en Grande-Bretagne.
Le clou de l'extrémisme quasi-unanime de cette partie a été d'associer l'immigration et le terrorisme. Je ne m'étendrai pas sur le sujet car cela ne grandit pas ces candidats qui n'ont pas compris que la surenchère profite à Marine Le Pen et à Éric Zemmour qui, à eux deux, représentent dans les sondages actuellement autour de 35% ! On préfère toujours l'original à la copie. En donnant raison aux thèses extrémistes, loin de se faire élire, ils ne font que renforcer leurs réels adversaires, ils justifient leurs positions extrêmes. Et même les attaques incessantes contre Emmanuel Macron, une sorte de passage rituel obligé, sont sans conviction parce qu'ils savent que les sympathisants LR qui sont restés à LR détestent Emmanuel Macron (les autres ont quitté LR depuis longtemps).
On pourra aussi disserter sur une autre surenchère, au moins ils ne courent pas après les écologistes, c'est à qui proposera le plus de réacteurs nucléaires. Il faudra quand même pouvoir les financer. Tous ont critiqué Emmanuel Macron d'avoir changé de cap (qui provient d'une étude de François Bayrou), mais je n'ai pas entendu le candidat François Fillon en 2017 ni Nicolas Sarkozy en 2012 dire qu'il fallait lancer un nouveau plan nucléaire (le "problème", qui n'en est pas un, de Fessenheim n'est pas nouveau). C'est bien toute la société qui considère que finalement, le nucléaire est le moindre mal pour en finir avec les énergies fossiles. Le "On a perdu beaucoup de temps" est aussi de la faute de l'UMP de l'époque.
Tous ces jeux de rôles, qui montrent une communication politique à l'évidence maîtrisée, font que les trois principaux candidats sont des clones. Je serai rassuré quand, après le congrès du 4 décembre 2021, le discours sera ajusté à toute la France et pas aux seuls adhérents de LR. Au risque de l'incohérence, j'espère qu'ils modifieront la tonalité de leur discours.
Même Jean-François Copé s'en rend compte. Refusant de prendre publiquement partie, le maire de Meaux, interviewé dans "Les Échos" du 15 novembre 2021, a déclaré : " La force de la droite doit être de parler de tous les sujets et pas seulement de l'immigration, qui ne couvre qu'une partie des problèmes français. Il faut aussi incarner le camp du progrès. ". J'y reviendrai.
Le seul point positif de ces deux premiers débats, c'est que LR devient une force de proposition et qu'on écoute désormais des responsables LR sur leur vision de l'avenir. Cela fait quatre ans et demi que ce parti était inaudible et invisible, en partie parce qu'il n'avait pas été présent au second tour de l'élection présidentielle de 2017.
La vraie surprise serait le choix de Valérie Pécresse. Elle serait en mesure de créer un coup de tonnerre et de redistribuer toutes les cartes. Car pour l'instant, les sondages d'intentions de vote se basent sur du vide. Tant qu'on ne connaît pas tous les candidats, ces sondages resteront sans intérêt car très virtuels. Rappelons-nous qu'en fin janvier 2017, Jean-Luc Mélenchon avait 9% d'intentions de vote (et Benoît Hamon avait 17%). Au premier tour, Jean-Luc Mélenchon a eu 19% (et Benoît Hamon 6%). De quoi faire réfléchir sur un argumentaire uniquement fondé sur les sondages.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (15 novembre 2021)
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Pour aller plus loin :
Élysée 2022 (12) : Surenchères désolantes pendant le deuxième débat LR.
Michel Barnier.
Éric Ciotti.
Hubert Germain.
Édouard Philippe.
Éric Zemmour au second tour !
Christian Estrosi.
Jean Castex.
Jean-Louis Borloo.
Nicolas Sarkozy.
Jacques Chirac.
Élysée 2022 (7) : l'impossible candidature LR.
Les Républicains et la tentation populiste.
Lucette Michaux-Chevry.
Michel Jobert.
Pierre Mazeaud.
Michel Debré.
Bernard Pons.
Pierre Juillet.
Philippe Mestre.
Henry Chabert.
Olivier Dassault.
Éric Raoult.
Yvon Bourges.
Christian Poncelet.
René Capitant.
Patrick Devedjian.

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