Vous avez surement déja entendu parler que allaiter votre enfant le rendait plus intelligent, plus en santé, moins malade,etc... Mais est-ce vrai? est-il si différent que le lait maternisé? Allons voir cela.
Des données concluantes indiquent que l’allaitement maternel protège les enfants contre les infections gastro-intestinales et respiratoires.1 Ceci a évidemment des implications importantes, puisque les enfants qui tombent malades plus fréquemment sont peu susceptibles d’avoir un développement physique, intellectuel et psychoaffectif optimal. Cependant, on connaît relativement moins bien l’influence de l’allaitement sur le développement psychosocial de l’enfant, ses effets directs sur le développement du cerveau et son lien avec la prévention de l’apparition de l’obésité. L’obésité constitue un facteur de risque notable pour les enfants au plan psychoaffectif et au plan des maladies chroniques débilitantes telles les maladies cardiovasculaires et le diabète de type 2. Ainsi, l’objectif de cette recension est de résumer les données disponibles dans ces domaines. Elle ne portera pas sur l’hypothèse de la formation de liens affectifs entre la mère et le nourrisson, parce que la plupart des études dans ce domaine ont de sérieux défauts méthodologiques qui excluent les inférences et les recommandations utiles.2
L’allaitement peut influencer le développement psychosocial de l'enfant de différentes façons. Premièrement, le lait maternel contient des substances bioactives, comme l’acide gras polyinsaturé à longue chaîne (PUFA), essentielles au développement du cerveau. En effet, deux dérivés du PUFA connus sous le nom d’acide arachidonique (AA) et d’acide docosahexanoïque (DHA) jouent un rôle important dans la croissance, le développement et le maintien du cerveau.3 Dans la plus grande partie du monde, les laits maternisés ne sont toujours pas fortifiés avec ces PUFA. Il n’est donc pas surprenant que l’allaitement maternel soit constamment associé à un meilleur développement du système nerveux central, la preuve étant la meilleure acuité visuelle des enfants allaités par rapport à celle des nourrissons nourris avec du lait maternisé.4 Deuxièmement, les propriétés et les différences biologiques des interactions mère- nourrisson pendant le processus d’allaitement peuvent conduire à de meilleurs résultats en ce qui a trait au développement moteur et intellectuel.5,6 Troisièmement, l’allaitement semble protéger contre l’apparition de l’obésité pendant l’enfance,7 une condition qui comporte des conséquences psychosociales énormes pour les enfants. Étant donné les implications du développement adéquat au plan physique et intellectuel pour l’individu, pour la productivité et la croissance sociale, l’allaitement est crucial pour la santé publique.
Questions clés pour la recherche
Cette recension se concentre sur les cinq questions suivantes :
- Existe-t-il un lien entre l’allaitement et le développement intellectuel?
- L’allaitement influence-t-il le développement moteur des enfants?
- L’allaitement peut-il constituer une intervention pour aborder l’épidémie de l’obésité infantile?
- Quels sont les mécanismes qui peuvent expliquer ces relations?
- Quelles sont les implications de ces découvertes pour les politiques de santé publique?
Résultats clés de la recherche
Allaitement et QI
Anderson et al.8 ont effectué une méta-analyse (n=11 études observationnelles) pour examiner l’impact de l’allaitement sur le développement cognitif après ajustement des variables confusionnelles, y compris le niveau d’éducation maternelle. L’avantage non ajusté de la fonction cognitive (ou le quotient intellectuel [QI]) attribué à l’allaitement était de 5,32 points (95 % intervalle de confiance (IC) : 4,51-6,14). Après ajustement des variables confusionnelles socio-économiques, l’avantage ajusté pour la fonction cognitive est tombé à 3,16 points, mais il était encore statistiquement important (95 % IC : 2,35-3,98). L’âge auquel était administrée l’évaluation cognitive allait de six mois à 15 ans. Ces différences cognitives entre les nourrissons allaités ou nourris au lait maternisé ont été détectées dès l’âge de deux à 23 mois et sont restées stables à des âges ultérieurs. Une des découvertes intéressantes de cette méta-analyse est que les nourrissons prématurés semblaient plus profiter de l’allaitement au plan intellectuel que les enfants de poids normal à la naissance (5,18 points [95 % IC : 3,59-6,77] contre 2,66 points [95 % IC : 2,15-3,17]).
Ces résultats correspondent à ceux de Lucas et al.9 qui ont assigné aléatoirement des bébés prématurés au lait maternisé ou maternel ingéré grâce à un tube. Ils sont aussi consistants avec l’essai aléatoire effectué dans divers pays par O’Connor et al.10 qui ont découvert que le fait d’ajouter des PUFA (AA et DHA) au lait maternisé présentait des avantages clairs pour le développement visuel et mental des nourrissons prématurés, mais pas pour ceux qui étaient nés à terme. La plausibilité biologique de ces résultats est élevée, parce que l’accroissement du DHA et du AA dans le foetus se produit jusqu’au dernier trimestre de la grossesse.8,10
Allaitement et développement moteur
Bien que les études aient constamment montré une relation positive entre l’allaitement et le développement intellectuel, peu d’entre elles ont examiné l’association entre la méthode d’alimentation du nourrisson et le développement moteur. C’est peut-être parce que dans les populations bien nourries, le développement moteur de l’enfant n’a pas été identifié comme un prédicteur utile de la fonction intellectuelle plus tard au cours de la vie. Cependant, chez les populations mal nourries, le développement moteur peut être une variable explicative utile du fonctionnement humain subséquent.5 Une étude effectuée au Danemark6 a permis de découvrir une relation positive entre la durée de l’allaitement et le développement précoce des habiletés pour ramper et de la préhension en pince après ajustement des variables potentiellement confusionnelles. Les données tirées de deux essais aléatoires avec des femmes primipares du Honduras, l’un basé sur le faible poids à la naissance et l’autre sur les nourrissons qui avaient un poids de naissance normal, ont montré que les nourrissons exclusivement allaités pendant six mois (par opposition à quatre mois) ont commencé à ramper plus tôt.5 De plus, l’essai chez les enfants de poids normal a montré que les bébés exclusivement allaités pendant six mois étaient significativement plus susceptibles de marcher à un an comparés à ceux exclusivement allaités pendant quatre mois (60 % contre 39 %).
Allaitement et obésité infantile
Dewey7 a récemment recensé la documentation sur ce sujet. Il a conclu que l’allaitement pouvait être associé à une réduction du risque d’obésité infantile jusqu’à un certain point. Il a recensé 11 études observationnelles qui comportaient des échantillons de taille adéquate et des données sur l’obésité des enfants après l’âge de trois ans. Une seule de ces études était longitudinale et toutes ont été effectuées dans des pays industrialisés en Amérique du Nord, en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Parmi ces 11 études, huit ont montré une relation inverse entre l’allaitement et l’obésité infantile après contrôle des variables potentiellement confusionnelles. Les trois études où une telle association n’était pas documentée manquaient de données sur l’exclusivité de l’allaitement. Depuis la publication de la recension de Dewey, deux études supplémentaires ont été publiées et mentionnent des résultats quelque peu contradictoires,11,12 bien que ces deux études ne définissent pas clairement l’allaitement exclusif. Elles révèlent la nécessité d’effectuer davantage de recherche sur les populations des pays en voie de développement et chez les minorités ethniques dans les pays développés.
Bien que beaucoup de travail reste à faire dans ce domaine, surtout la nécessité d’études longitudinales bien conçues qui permettent une description claire des différentes modalités d’allaitement, la prépondérance des données épidémiologiques suggère fortement un lien entre l’allaitement et la prévention de l’obésité pendant l’enfance et l’adolescence. La plausibilité biologique de ces résultats est aussi forte. Premièrement, les sujets allaités ont un profil leptique qui peut favoriser une régulation adéquate de l’appétit et un moindre dépôt de graisse. En ce qui concerne la régulation de l’appétit, Pérez-Escamilla et al.13 ont démontré que les bébés du Honduras ajustaient le volume de leur ingestion de lait de façon inversement proportionnelle à la densité énergétique du lait de leur mère.
On suppose également que la raison pour laquelle le contenu en gras du lait vers la fin de la tété (c’est-à-dire le lait en fin d’allaitement) est plus élevé qu’au début de l’allaitement est qu’il signale au bébé que la tété se termine. Évidemment, les bébés nourris au lait maternisé ne sont pas exposés à un tel « signal physique », puisque la concentration de gras dans le lait maternisé reste constante tout au long de la période d’allaitement. Le corollaire de ceci est que chez les bébés nourris au lait maternisé, c’est le donneur de soins et non le nourrisson qui contrôle l’ingestion calorique. Deuxièmement, les bébés allaités prennent moins de poids que ceux qui sont nourris avec du lait maternisé au cours de la première année de vie. Troisièmement, le flux sanguin des bébés nourris avec du lait maternisé contient des niveaux plus élevés d’insuline à cause du contenu en protéine plus élevé du lait maternisé, ce qui peut stimuler un dépôt de réserves de graisse supérieur. Quatrièmement, il est possible que le lait maternel influence le développement d’un profil de récepteur de goût pouvant favoriser une préférence pour des régimes alimentaires moins énergétiques plus tard. Nous sommes encore loin de posséder des données concluantes sur les mécanismes biologiques qui peuvent expliquer le lien entre l’allaitement et la prévention de l’obésité. Il est clair que ces efforts de recherches nécessiteront d’établir et de financer des partenariats multidisciplinaires solides visant des chercheurs en biologie, en médecine, en santé publique et en comportement.
Conclusions
De nombreuses données soutiennent la possibilité qu’il y ait un lien entre l’allaitement et le développement psychosocial de l'enfant. L’allaitement a constamment été associé à de meilleurs résultats cognitifs et il pourrait prévenir le développement de l’obésité chez les enfants et les adolescents, une condition qui peut sérieusement nuire à l’estime de soi de l’enfant et à son développement psychosocial global. La plausibilité biologique de la découverte en ce qui a trait au développement intellectuel est élevée parce que : a) le lait humain contient des composants bioactifs qui ne sont pas normalement présents dans le lait maternisé et qui sont essentiels au développement du système nerveux central; et b) l’interaction entre la mère et le nourrisson pendant le processus d’alimentation peut être substantiellement différente pour les nourrissons allaités et ceux nourris au lait maternisé. De même, les découvertes en ce qui a trait à la prévention de l’obésité sont plausibles, puisque les sujets ayant été allaités peuvent avoir été « programmés » tôt dans la vie pour être capables de mieux réguler leur appétit et qu’ils ont des modèles de dépôt de graisse plus optimaux.
Implications
Les découvertes résumées dans cette recension ont des implications majeures pour les politiques, puisqu’elles suggèrent fortement qu’en investissant dans la promotion de l’allaitement, on peut non seulement améliorer la santé physique, mais aussi les résultats aux plans intellectuel et psychoaffectif. Les découvertes indiquent aussi la nécessité d’effectuer davantage de recherches dans ce domaine. Il est particulièrement nécessaire de réaliser des études longitudinales bien conçues pour découvrir si les bébés allaités a) réussissent réellement mieux à l’école; b) ont réellement un meilleur développement psychosocial, y compris une meilleure estime de soi et moins de comportements agressifs, et c) sont vraiment des membres plus productifs de la société, et si c’est le cas, quelle est la quantité de cet effet relié à la stimulation du cerveau par rapport aux effets de l’allaitement en ce qui a trait à la prévention de la morbidité. De plus, nous devons mieux comprendre si l’allaitement conduit à un meilleur développement moteur du nourrisson, et si c’est le cas, ses implications pour le fonctionnement humain ultérieur. Une fois que nous aurons répondu à ces questions, nous pourrons totalement apprécier les découvertes dont il est question dans cette recension.
Source : Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants, Centre d’excellence pour le développement des jeunes enfants 2005.
Bonne journée,
Marie-Claude
Référence: Petit monde.com