Un jour, un curé m'a posé une question inattendue : comment je voyais l'après mort. Comme parfois, lorsque l'on n'est pas préparé, j'ai émis quelques idées que je n'attendais pas.
J'ai répondu que ce qui me faisait vivre, c'est un phénomène curieux, que je rencontre de temps à autres. Par exemple dans les entreprises en difficulté. Ce qu'il faut faire est évident, et, pourtant non seulement personne ne le fait, mais chacun se comporte stupidement et criminellement. C'est probablement ce que la théorie des jeux appelle "dilemme du prisonnier" et Hannah Arendt, "banalité du mal" : la rationalité individuelle produit un désastre collectif. Il peut alors arriver que tout change. Un grand mouvement d'ensemble. Chacun se révèle étonnant. Il participe à une transformation extraordinaire, en lui apportant, humblement !, une contribution inattendue, dont personne d'autre n'était capable. L'attitude des uns vis-à-vis des autres change : d'hostilité, elle passe à admiration. Et même à une forme de crainte : serais-je à la hauteur ? En particulier, l'aristocrate de l'esprit découvre que la supériorité congénitale qu'il croyait détenir n'est rien. Il devient sympathique. Pascal n'avait rien compris. L'infini du bonheur est aujourd'hui. Il ne faut pas lui sacrifier l'illusion du paradis.
Il n'y a pas que dans les entreprises que frappe la grâce. Je me souviens aussi de la transformation de mon équipe d'aviron. Il y eût bien plus que la découverte des "autres", l'émergence de quelque chose qui "transcendait" l'équipe, peut être "le bateau". Quelque-chose qui avait une existence indépendante des rameurs, que l'on sentait, et qui guidait notre comportement. Quelque-chose qui nous a permis de régler un problème qui déroute la rationalité des ingénieurs : la vitesse d'un bateau est fonction de son équilibre, à son tour fonction de la hauteur des mains des rameurs. Mais si vous voulez ajuster vos mains, il faut tenir compte des réactions des autres ! Eh bien quand on est dans une équipe, on ne pense plus aux autres, on découvre que "l'ensemble" a, justement, un comportement d'ensemble.
Après guerre, les scientifiques ont rêvé de créer une science des sociétés qui rendrait les folies humaines impossibles. Et si l'on pouvait mettre la société en équation et trouver un indicateur qui mesure son intelligence ? L'ingénieur pourra-t-il prendre sa revanche ? A suivre.