" Oui, le pur plaisir de l'existence, qui est extrêmement courte. C'est ce qui m'a toujours poussé, encore aujourd'hui. Malgré les drames. " (Romain Goupil, "Ouest France", le 6 mai 2018).
Né le même jour que l'ancienne ministre socialiste Marie-Noëlle Lienemann, le réalisateur Romain Goupil a fêté, il y a quatre mois, son 70 e anniversaire le lundi 12 juillet 2021. Personnalité entière qui n'hésite pas à dire ce qu'il pense, il est l'un des "héros" (des acteurs) de la révolte étudiante de mai 1968.
Je ne l'ai vraiment "connu" que comme redoutable débatteur à la télévision, assez proche dans la force de conviction, tant sur la forme que sur le fond, de son grand ami Daniel Cohn-Bendit. C'est l'avantage de ne pas être élu, de ne pas être en responsabilité : la liberté, la franchise, la sincérité ...et surtout, l'absence de peur de déplaire, surtout quand on sait que, de toute façon, on ne peut pas plaire à tout le monde (mais lorsqu'on fait de la politique, c'est quand même bien de réussir à convaincre la majorité de son électorat). C'est pour cela que Dany n'a jamais voulu être ministre. Et qu'on imagine aussi mal Romain Goupil dans ce rôle-là. Influenceur, conseiller, mais sûrement pas dirigeant politique. Trop besoin de sa liberté.
Son ton passionné laisse cet arrière-goût de révolte qu'il avait dans sa jeunesse, même si depuis quatre ans, il peut (on peut) considérer qu'il est "au pouvoir", en quelque sorte, dans la mesure où il a soutenu la candidature de l'ancien ministre Emmanuel Macron et qu'il le soutient toujours dans ses actions, en particulier dans sa gestion de la crise sanitaire.
Je peux même dire que cela repose un peu de ne pas entendre crier un débatteur à la télévision comme on l'entend depuis dix ans "à la dictature !", comme si c'était un mot mobilisateur dans un pays dont les mêmes critiquent les habitants pour leur supposée soumission et que j'appelle simplement leur raison : le peuple français est un peuple raisonnable et sage (on peut l'observer dans la vaccination) mais sa dignité d'adolescent retardé lui impose de râler (je le fais ...si je veux !).
Ces "râleries" populaires (les dernières en date, les gilets jaunes) donnent ainsi de fausses joies et de fausses espérances aux promoteurs du "grand soir", aux révolutionnaires le derrière dans leur confortable fauteuil, ou sur les tribunes de théâtre, s'obsédant dans des "convergences de luttes" qui ne peuvent pas fonctionner dans un monde si consommateur et si individualiste. C'est peut-être cette maturité qui a conduit Romain Goupil, comme plein d'autres camarades "révolutionnaires", à se rapprocher de ce qu'on a appelé les "nouveaux philosophes".
Très insolite, Romain Goupil a été candidat aux élections européennes du 12 juin 1994, en n°17 sur la liste d'intellectuels appelée "L'Europe commence à Sarajevo" pour soutenir le peuple bosniaque contre l'agression serbe. La liste fut annoncée par Bernard-Henri Lévy (n°21) le 15 mai 1994 à "L'Heure de vérité" (sur Antenne 2) et fut menée par Léon Schwartzenberg avec Alain Touraine (n°13), Marina Vlady (n°14), Daniel Rondeau (n°18), Pascal Bruckner (n°19), André Glucksmann (n°22), Michel Polac (n°31), etc. On avait même demandé à Jean-François Deniau d'y participer, ce qui était impossible car il avait disputé la tête de la liste d'union UDF-RPR à Dominique Baudis qui fut choisi. La liste "bosniaque", pourtant créditée jusqu'à 12% par certains instituts de sondages plusieurs semaines avant le scrutin, n'a recueilli que 1,6% des voix.
À l'instar de Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann (qui était un ami très proche), Pascal Bruckner et de plein d'autres "intellectuels", Romain Goupil a soutenu la guerre en Irak par anti-antiaméricanisme (dans deux tribunes au journal "Le Monde" qu'il a cosignées les 3 mars 2003 et 14 avril 2003). En revanche, il est resté opposé aux anti-mai 68 comme Éric Zemmour, Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Nicolas Baverez qui croient encore qu'avant, c'était mieux.
Romain Goupil n'est en tout cas pas tendre avec les nostalgiques de mai 68 : " Des espèces de clones totalement absurdes, style Mélenchon, qui défend l'idée que mai 68 était un mai ouvrier, alors qu'il était, en même temps, un mouvement sociétal. (...) Alors que la société a tellement changé. Mais je les comprends un peu, en même temps, ce n'est pas facile de dire qu'on s'est trompés ! " ("Ouest France", voir plus loin).
Dès l'âge de 14 ans, Romain Goupil était engagé dans la Jeunesse communiste révolutionnaire. Il était trotskiste, anticolonialiste... Ses combats étaient l'Algérie, le Vietnam, Cuba, etc. Ses premiers tracts étaient pour pouvoir avoir les cheveux longs à l'école en 1966. Il n'a cessé de faire du militantisme. En 1967-1968, il était en seconde au lycée Condorcet. L'année précédente, Alain Krivine y était un pion. Le 17 janvier 1968, il a été renvoyé pour activités politiques (il avait organisé une grève le 13 décembre 1967 puis le 11 janvier 1968). Dès janvier 1968, il a été soutenu par des centaines de lycéens. Finalement, le 20 mars 1968, il a été réintégré, mais au lycée Voltaire. Très rapidement, il a fait partie de groupes clandestins pour des opérations ciblées. Mai 1968 a démarré le 22 mars 1968.
C'était dès février 1968 qu'il a connu Daniel Cohn-Bendit, et aussi d'autres étudiants révolutionnaires, Daniel Bensaïd, Henri Weber, Alain Krivine... tous beaucoup plus âgés que lui simple lycéen de seconde.
Avec le recul des décennies, Romain Goupil est heureux d'avoir échoué à l'époque. Dans un entretien à "Ouest France" le 6 mai 2018, il confirmait : " La révolution qu'on voulait ne laissait place à aucune opposition. Le premier qu'on aurait fusillé, c'est Cohn-Bendit. Parce qu'il était anarchiste. Après, on aurait liquidé les maoïstes et tous les autres groupes trotskistes qui n'étaient pas d'accord avec nous. La vraie réussite de mai 68, c'est de nous avoir oubliés. Et ridiculisés, notamment Dany. " (propos recueillis par Carine Janin).
Romain Goupil est devenu un cinéaste réputé lorsqu'il a sorti en 1982 le film documentaire "Mourir à trente ans", qui fut primé au Festival de Cannes par la Caméra d'Or, par un César du meilleur premier film en 1983 et par une nomination aux Oscars. Le récit est autobiographique et reprend des images d'archives de 1968 et des années 1970, et ce film a été motivé par celui qui l'avait représenté et qui avait représenté tous les lycéens à la manifestation du 13 mai 1968 auprès de Daniel Cohn-Bendit, Jacques Sauvageot, Alain Geismar, etc., à savoir Michel Recanati qui s'est suicidé en 1978 à l'âge de 28 ans après la mort par maladie de sa fiancée.
En 1968, Romain Goupil était très jeune et avait la passion de la jeunesse, se reconnaît volontiers à l'époque triomphaliste, sectaire, machiste, sexiste... et encore aujourd'hui, il se qualifie lui-même de bolchevique, péremptoire, agressif, violent, pas très démocratique ! Plus intéressant encore, il fut interviewé par la romancière Marguerite Duras le 10 mars 1968 pour l'émission "Dim Dam Dom" de Daisy de Galard sur la future Antenne 2 sur le thème "Les lycéens ont la parole" (qu'on peut revoir dans la vidéo ci-après).
Pour Romain Goupil, il y avait une part de jeu et d'amusement dans sa démarche de révolutionnaire. Quand il heurtait ses mots, il s'arrêtait et se moquait de lui-même, lors de ses envolées verbales dans des salles remplies de lycéens. Au même âge, à l'époque timide, je mourais de trouille de "réciter" devant une vingtaine de camarades des poésies classiques.
Ses parents étaient aussi des militants, dans le milieu du cinéma. Petit, il fréquentait à la maison des personnalités comme Jacques Higelin, Rufus, Brigitte Fontaine, etc. Sa grand-mère était une comédienne de doublage, son père a été chef opérateur d'une centaine de films.
Romain Goupil n'a pas poursuivi très loin ses études et a travaillé dans le cinéma. Il fut assistant réalisateur auprès de grands réalisateurs, comme Roman Polanski ("Tess"), aussi Jean-Luc Godard ("Sauve qui peut (la vie)"), Andrzej Wajda ("Les Possédés"), aussi Coluche ("Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine"), qu'il a soutenu dans sa candidature à l'élection présidentielle de 1981. Il a réalisé lui-même beaucoup de films documentaires, sur Coluche, sur Jacques Higelin, sur Gustave Courbet, etc.
Au-delà de "Mourir à trente ans", on peut citer une comédie dramatique "À mort la mort !" (sortie le 1 er septembre 1999), où il est lui-même l'acteur principal, fait d'humour noir à l'hôpital ou dans les cimetières, et ce dernier film documentaire, coréalisé avec son compère Daniel Cohn-Bendit, "La Traversée" (présenté au Festival de Cannes, hors compétition, le 16 mai 2018 et produit par Georges-Marc Benamou), qui commémore le cinquantenaire de mai 68 en allant sonder la France profonde pour mieux la connaître. C'est une sorte d'état des lieux de la pensée populaire que les deux anciens militants ont proposé, avec la participation du maire de Grenoble Éric Piolle, celui de Béziers Robert Ménard, José Bové, ...et même Emmanuel Macron !
Dans la matinale de France Inter, le 14 mai 2018, Romain Goupil a expliqué ainsi l'idée de ce film : " C'est là, l'étonnement du film. C'est qu'on prend les caméras, on va avec Dany, et on découvre une France qui n'est pas celle du début, pas celle de l'a priori, on va voir des gens. Ils sont conscients des problèmes et ils sont quand même toujours en train de discuter d'une solution possible. ".
Mais Romain Goupil s'est-il déshabillé de toutes ses anciennes utopies ? Eh bien, pas du tout : " Nous, notre utopie, c'étaient les États-Unis du monde. On était universaliste et cosmopolite. Je le suis toujours. Mais comme je suis devenu vieux, je vise les États-Unis d'Europe. " ("Ouest France").
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 juillet 2021)
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Pour aller plus loin :
Philippe Léotard.
Romain Goupil.
Isabelle Carré.
Claude Piéplu.
Michael Lonsdale.
Jean-Pierre Bacri.
Gérard Jugnot.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.
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