Pour la plupart des institutions financières, le maintien de leurs systèmes informatiques au sein des murs de l'organisation reste la norme, au moins pour les plus critiques d'entre eux, face aux risques inacceptables – en matière de sécurité, de confidentialité, de résilience, de performance… – que persistent à représenter selon elles les solutions telles que Google Cloud, AWS ou Microsoft Azure. Même celles qui se laissent tenter ont tendance à ne leur confier que des composants relativement peu sensibles.
Visiblement, CME Group, une des entreprises boursières les plus importantes de la planète, notamment pour les échanges de produits dérivés, pense différemment. En effet, aux termes de son accord avec Google, elle vise à migrer l'essentiel de ses opérations vers les infrastructures de ce dernier, de manière à, entre autres, disposer d'une plus grande flexibilité, qui lui permettra d'accueillir plus de participants, et optimiser son efficacité sur tous les plans imaginables (analyse de l'information, innovation, coûts…).
Naturellement, l'ambition paraît un peu démesurée. Aussi le programme de transition est-il élaboré pour une durée de 10 ans. Une première phase concernera d'abord les logiciels les moins complexes, suivie de la mise en place de capacités de traitement de données (commercialisables). Puis viendront les choses sérieuses, à savoir les outils de cœur de métier, pour lesquels il faudra prendre en compte leurs exigences extrêmes du point de vue de la sécurité, de la latence, de la redondance, des plans de secours…
La barre est placée tellement haut qu'elle constituera une référence décisive pour Google et la faculté de sa plate-forme à assumer les contraintes les plus strictes du secteur financier, tout en apportant les bénéfices intrinsèques de l'infonuagique. En l'occurrence, le plus attractif pour une place boursière à forte fréquentation est vraisemblablement son adaptabilité aux fluctuations intenses des sollicitations qui caractérisent les marchés, dans des conditions (surtout de prix) parfaitement maîtrisées.
Cet effet de démonstration espéré vaut bien un engagement fort de la part de Google. Voilà certainement pourquoi la collaboration s'accompagne également d'une prise de participation, à hauteur d'un milliard de dollars, dans CME Group. Un tel geste, inédit, matérialise autant sa volonté d'affirmer sa confiance en la réalisation du projet et son succès final qu'un investissement pour son propre avenir dans un monde de la finance encore très fermé et sur lequel il lui reste d'ailleurs beaucoup à apprendre.
Parmi les grands fournisseurs de cloud professionnel (avec Amazon, Microsoft et, dans un registre assez différent, IBM), Google est décidément le plus offensif en direction de la finance. Il est vrai que la taille du marché global, l'immensité (inégalée) de ses besoins en ressources informatiques, sa croissance potentielle dans les services « digitaux » et son immobilisme (jusqu'à présent) dessinent les contours d'une opportunité extraordinaire pour l'acteur qui saura vaincre leurs réticences et répondre à leurs attentes spécifiques.