La carte postale que je n'ai pas osé envoyer 😂
⚠️ Avertissement : ce billet contient une multitude de liens, autant de digressions que je soumets à votre sagacité.
La tête dans les nuages, tant littéralement que métaphoriquement, je me poste à un coin de rue pour photographier le chien assis sur une chaise cannée en terrasse du Maximilien, Paris 12e. Emmitouflé dans son pull en mohair, il darde sur moi son œil interrogateur tandis que je m'efforce d'échapper à la curiosité de sa maîtresse. Le toutou a bien failli illustrer ce billet de blog mais je lui ai préféré la fraise sur le Champ-de-Mars. Ah Paaaaaaris, comme dit mon mec avec la gouaille d'un Parigot des faubourgs, pour se moquer tendrement de mon addiction à cette ville.
Au Voltigeur, le poney n'a pas l'air de follement aimer les carottes.
N'en déplaise aux promoteurs (j'emploie le terme à dessein) du hashtag #saccageparis sur les réseaux, je n'ai pas vu la ville qu'ils fustigent. Tout n'est pas rose ni magique. Je vois la misère, l'incurie, la saleté, l'incivilité mais ni plus ni moins que dans n'importe quelle autre métropole. En un mot comme en mille, Paris provoque toujours chez moi le même émerveillement. Et beaucoup de choses ont changé, en bien ! Une nouvelle sortie de métro a jailli ici, une rue piétonnisée là, des enclos végétalisés, une Samaritaine à qui on a enfin rendu sa superbe, et j'en passe des gerbes d'orties qui ravissent la faune et le côté bucolique de votre serviteur et horripilent les pisse-vinaigres qui n'ont souvent (j'ai vérifié) qu'un os à ronger sur les réseaux.
Et au milieu coule un fleuve
Je n'ai hélas pas pu serrer dans mes bras toutes les personnes que je souhaitais enlacer. J'étais tiraillé entre l'envie de revoir amies, collègues, "potesses" et potes des réseaux, et le besoin d'explorer seul ma ville de cœur, d'assumer ma part d'ours mal embouché, d'ermite à Paris. L'amie Élodie avec un accent aigu sur la majuscule a bien compris la bête quand elle m'a proposé une fenêtre de rencontre entre 15h et 1h du matin, ce vendredi. Rep à ça Chronopost ! Dans le marathon Téléthon Gaming qu'elle "surveillait" comme l'huile sur le feu, elle n'avait qu'une pause clope à m'offrir et je l'ai volontiers saisie. Longue étreinte, joie de se retrouver, rires, chaleur humaine. À propos de clope, je souligne ici la gentillesse d'une Parisienne qui me demande si elle peut fumer sans me déranger. Avec le sourire. Et les notes au stabilo fluo rose que j'aperçois sur son agenda. Pfiou, j'envisage déjà la longueur de ce billet, comme un dimanche sans pain et je vous alerte. It's a never-ending story. Assis sur une chaise cannée rouge vif, je sirote le bonheur d'un moment au soleil, rue des Martyrs. Alors que je fourrage dans mes affaires en quête de sous pour payer mon café, je réalise que je n'ai pas de monnaie. Le serveur me désigne un distributeur en bas de la rue. Il me laisse partir avec armes et bagages, à la recherche d'espèces, sans exiger de moi en garantie un poumon ou un effet personnel moins essentiel. Il a confiance, le bougre.
Vous me direz que je m'extasie d'un rien. Essayez, vous verrez le bien que cela procure.
Au 27, Madame, le détail exquis est dans un coin de la salle, dans le creux de l'assiette, dans la douceur de l'accueil de ses hôtes.
— On m'a dit de vous accueillir avec une coupe de champagne, annonce avec un air de malice la dame du 27, Madame, où je déjeune avec mon amie clodoaldienne. Nous ne l'avons pas contredite, malheureux ! Des poireaux vinaigrette framboise, un dos de julienne beurre citron, une mousse au chocolat et une deuxième coupette plus tard, nous nous sommes pris dans les bras comme si mille ans nous avaient séparés. Ce n'est pas tant le temps que la distance qui fait obstacle. Je fais désormais mienne (et la comprends) la réplique de Galabru dans les Chtis : le noooooooorrrrrd. Paris, vue de Marseille, c'est un peu le Groenland.
Ton sur ton.
Le monde est tout petit. Paris est tout petit. Mathieu, le patron de la boutique Dis bonjour à la dame, gentiment coupable d'un croquis sur fond jaune avec le chat de ma môman et de la petite Kimberley qui fait pipi comme un garçon, connaît Charles Nouveau l'humoriste que j'ai applaudi jeudi rue Volta. Lui et l'ami marseillais lui rendant visite n'ont pas vu le spectacle et je leur en parle. Assis au premier rang dans ce café-théâtre à Arts-et-Métiers, je ris derrière mon masque, j'applaudis l'artiste qui échange avec les deux enfants (de 11 et 13 ans) dans l'auditoire et dit aux parents : vous verrez, quand ils sortiront de la salle, ils n'auront plus le même âge. Avec des sujets comme la dépression, la mort, la petite mort, le suicide, sa "grand-mère la p*te", évoqués avec une drôlerie aussi piquante que jubilatoire, c'est évident. Charles Nouveau a un air de Blanche Gardin mais sans la robe bleu pétrole mais avec la barbe.
Quelques rues plus haut.
Mylène Farmer vue par Oja
À la recherche du collage Mylène Farmer de l'artiste Oja (j'ai photographié son Catherine Deneuve jeudi rue des Francs-Bourgeois, trônant fièrement à côté d'Ellen Ripley ou Maria du mythique Metropolis à Abbesses), mon oreille indiscrète intercepte la saillie d'un passant impudent :
— Y a pas besoin d'avoir 300 000 euros pour avoir une maison.
— Hmmm, marmonne sa compagne.
Devant une palette surmontée d'un matelas lui-même surmonté d'une tente où loge la femme ou l'homme qui n'aura pas le loisir de balancer dans la tronche du cynique un des bibelots qui ornent son abri de fortune, les bras m'en tombent.
Je préfère écouter mon voisin de tablée annoncer doctement à ses amis : j'ai arrêté de me ronger la peau des doigts. À la terrasse du Sancerre, je bois un verre de Chablis, je songe à mes jeunes années, si si, où je refaisais le monde, ici-même, avec mes camarades du Cours Périmony, il y a vingt ans, où je tirais le diable par la queue, vivant à la va-comme-je-te-pousse mon rêve de théâtre.
Sur le trottoir d'en face, ça photographie la brasserie d'à côté, le Vrai Paris, qui n'a rien de vrai. Je lutte contre mon aversion pour la foule, criarde, oppressante ; je ferme les yeux sur les Monop', les boutiques franchisées, les agences immobilières tous les vingt mètres qui défigurent depuis belle lurette les Abbesses, la rue Lepic. Je ne jette ni le bébé avec l'eau du bain ni Paris avec les touristes qui la font vivre, je m'attendris plutôt sur la tablée d'Italiens qui célèbrent leur séjour à Paris autour d'une bouteille de Saint-Émilion alors qu'il n'est que 16 heures.
Pas un passage à Paris sans une promenade à Montmartre, même nocturne.
Rue Tholozé, je franchis le seuil de ce cinéma art et essai, le Studio 28 qui s'enorgueillit de luminaires dessinés par Jean Cocteau, je me perds dans la contemplation du livre d'or confiés à l'inspiration en dents de scie de ses spectateurs. Derrière moi, une cabine photomaton Harcourt joue la nostalgie contre monnaie sonnante et trébuchante, une voix empresse la jeune femme assise sur son tabouret d'en finir avec son autoportrait : — Attention, il vous reste peu de temps. Si vous n'êtes pas satisfait, vous pouvez appuyer sur la touche...
Déjà 17 000 pas au compteur de ma montre pour la seule journée de samedi.
Pièce vue et chaudement recommandée !
Au théâtre Tristan-Bernard, la file s'allonge pour le spectacle de 21 heures. Les acteurs de 19 heures ont joué Adieu Monsieur Haffmann, la troublante et magnifique histoire écrite et mise en scène par Jean-Philippe Daguerre. Je n'ose pas les féliciter, j'ai participé aux applaudissements nourris, cela suffira. Campé sur le trottoir d'en face, j'admire ces animaux étranges qui ont réussi l'exploit de me transporter en 1942, d'oublier ma voisine jouant au Scrabble sur ton téléphone avant la représentation. Je reconnais Anne Plantey qui, avant que le rideau ne se referme, a lancé : "merci d'être là ! c'est important pour nous", j'aimerais lui dire que le théâtre est important pour moi et pour tant de gens. Les comédiens se dirigent vers la brasserie d'à côté, Anne ne les a pas rejoints, elle a enfourché son vélo, Salomé la salue d'un "au revoir poulette !" que je ne peux m'empêcher de garder au chaud pour conclure ce billet.
Non sans vous laisser avec un petit bonus.
Détail d'une des 29 immenses toiles de Damien Hirst exposées à la Fondation Cartier pour l'Art contemporain.
Lundi. Amélie P. me donne rendez-vous dans un restaurant libanais qu'elle connaît, fermé le lundi. Comme il en faut davantage pour nous décourager, et que Paris offre un choix pléthorique d'adresses, même un lundi, nous troquons le méditerranéen contre un asiatique rue Tiquetonne. Tandis que nous étudions le menu, je déroule une théorie qui s'avérera aussi saugrenue qu'incorrecte : le restaurateur proposant une cuisine pimentée s'adapte au client occidental moins enclin à bousculer ses papilles, il édulcore son menu. Le "très épicé" est épicé et le "moyennement" l'est légèrement. Que nenni. J'aurais dû écouter le serveur quand il m'a alerté : "très pimenté", vous êtes sûr ?" Mouais. Toujours est-il qu'Amélie et moi avons continué de papoter avec l'étrange impression d'avoir des lèvres qui avaient doublé de volume. C'est parfait pour faire connaissance, ça crée des liens.
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Vous êtes encore là ? Merci. J'ajoute aux liens disséminés plus haut celui du florilège de mes meilleurs billets, mes préférés, quoi ➡️ Une nonnette au miel des petites choses
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