Il y a quelques semaines, à l'occasion de la sortie française de Speed Racer, je discutais avec Nicolas Zugasti du site L'Ouvreuse (aussi connu sur DVDrama In sous le pseudo de Rorschach) et celui-ci me faisait remarquer à quel point le film Invasion, malgré ses défauts évidents, était audacieux au niveau du message délivré. Il pointait aussi du doigt le fait que le studio au W produisait ces derniers temps de nombreux films risqués financièrement : Speed Racer, Beowulf... Suite à ces judicieuses remarques, et à l'occasion de la sortie (et du carton phénoménal) de The dark Knight,je me suis dit qu'il serait peut-être bien intéressant de se pencher sur le renouveau d'un des plus grands studios hollywoodiens.
Grandeur et DécadenceCréé en 1903 par les quatre frères Warner : Harry. Albert, Sam et Jack, le célèbre studio aura connu de nombreuses évolutions, des hauts et des bas, mais aura toujours sur maintenir un certain niveau de qualité dans ses productions, privilégiant les auteurs plus que les franchises lucratives. Cependant, le studio a eu un sacre passage à vide a partir du milieu des années 90, tant artistiquement parlant que financièrement. Malgré plusieurs succès ( Entretien avec un Vampire, Heat) et la présence des valeurs sûres comme Clint Eastwood, le studio commence à essuyer plusieurs revers dès 1996 avec le semi-bide de Mars Attacks de Tim Burton (101 millions de dollars de recettes mondiales pour un budget de 70), les américains lui préférant le patriotique Independance Day produit par la Fox (même budget, mais 300 millions de dollars de recette rien qu'aux USA). De même, en 1997, Sleepers de Barry Levinson, fort d'un casting quatre étoiles (Robert de Niro, Brad Pitt, Kevin Bacon, Dustin Hoffman, Jason Patric) mais handicapé par un sujet difficile, ne rapporte que 53 millions de dollars sur le sol américain (et 50 de plus dans le reste du monde) pour un budget de 40 millions de dollars. Mais la véritable décadence du studio commence en 1997 lorsque Batman et Robin, gros film de l'été de Warner, se fait démonter par la critique et se ramasse au box office américain (107 millions de dollars pour un budget de 125 millions) et international (à peine 130 millions). L'ampleur du problème est telle que le studio est obligé de faire appel à Richard Donner et Mel Gibson pour lancer en catastrophe un quatrième Arme fatale et renflouer ses caisses. Le scénario du film est écrit pratiquement au jour le jour pendant le tournage, pour une sortie pendant l'été 1998. Malheureusement, celui-ci ne rapporte mondialement que le double de son budget (285 millions de dollars dont seulement 130 sur le sol américain pour 140 millions de budget), ce qui en fait le moins rentable des films de la franchise. Et la série noire continue avec le Peur Bleue de Renny Harlin qui ne rapporte même pas le double de son budget sur les recettes mondiales (113 millions de dollars de recettes mondiales pour un budget de 73 millions). Seule la comédie Mafia Blues de Harold Ramis en 1998 tire son épingle du jeu et cartonne à travers le monde, mais on ne peut pas dire que la qualité soit vraiment au rendez-vous...
En parallèle, le département animation du studio peine lui aussi à rentrer dans ses frais. Le succès du très moyen Space Jam (qui se souvient de ce film aujourd'hui ?) en 1996 a lancé la machine, mais le département Warner Bros Feature Animation enchaîne ensuite bide sur bide : Excalibur, l'Epée magique de Frederick du Chau en 1998 (de plus éreinté par la critique), Le Géant de Fer de Brad Bird en 1999 (malgré de très bonnes critiques), Osmosis Jones des frères Farelly en 2001, et Looney Tunes Back in Action de Joe Dante en 2003 (qui entraîne d'ailleurs la disparition du réalisateur de Gremlins des plateaux de cinéma).
Coup de PokerDans la première catégorie, nous retrouvons bien entendu la franchise des Harry Potter, remportée par le studio en 2001. Si les deux premiers épisodes sont très lisses et fades, on ne peut que saluer l'initiative (pas forcément payante artistiquement pour le moment il est vraie, si on excepte l'épisode réalisé par Cuaron) de faire appel à de véritables auteurs pour les suites des aventures du petit sorcier plutôt qu'à des yes men. Les deux suites de Matrix permettent au studio de capitaliser sur le succès du premier film tout en laissant une liberté totale aux frères Wachovski, pour le résultat que l'on connaît. Peu importe l'opinion que l'on a sur cette trilogie, il faut tout de même avouer qu'une telle liberté est encore une fois rare de nos jours au sein des gros studios hollywoodiens. Troisième franchise lucrative du studio, la série des Ocean's permet aussi d'entretenir un fond de commerce utile à la production de projets plus risqués (notamment les autres expérimentations bizarres de Sorderberg).
Spielberg peut ainsi réaliser le souhait de son ami Kubrick en mettant en scène AI (2001), Oliver Stone met enfin en boite sa biographie d'Alexandre le Grand en 2004 et George Clooney se permet de réaliser un film politique en noir et blanc avec l'excellent Good Night and good Luck. Quand à Clint Eastwood, le chouchou du studio, il navigue d'un sujet à l'autre sans problème, passant du polar noir (le déchirant Mystic River) au drame ( Million Dollar Baby), jusqu'à réaliser son mémorable diptyque sur la seconde guerre mondiale.
Même dans ses blockbusters, le studio prend des risques étonnants. Il finance la reconstitution maniaque de David Fincher sur Zodiac, les expérimentations visuelles de Zack Snyder sur 300 et les expérimentations technologiques de Robert Zemeckis et George Miller sur Le Pôle express, Beowulf et Happy Feet. Les responsables du studio n'hésitent pas non plus à investir largement dans les délires gores de Tim Burton sur le mauvais Sweeney Todd ou à aider Neil Jordan à aborder le difficile sujet de la vengeance dans le dur A vif. Et double cerise sur le gâteau, ils investissent dans deux films étonnants : d'un coté un western, genre moribond s'il en est, contemplatif en plus, le superbe L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford d'Andrew Dominik, et de l'autre l'expérimental Speed Racer des frères Wachovski.
Mais la confirmation de la viabilité de la démarche du studio sera bien évidemment le succès de la nouvelle franchise Batman. En faisant une confiance totale au réalisateur Christopher Nolan pour relancer la franchise anéantie par Joel Schumacher, la Warner a fait un pari gagnant, conquérant non seulement le cœur des critiques, mais aussi celui du public, comme en témoignent les bons résultats au box office de Batman begins et surtout les scores mirobolants de The dark Knight ...
Du coup, à l'heure où la plupart des gros studios manquent cruellement d'audace et jouent la carte de la sécurité en produisant des suites à n'en plus finir ( Transformers 2, Saw 5, Scary Movie 5, Scream 4, Spider-Man 4...), en surfant sur la nostalgie du spectateur ( Die Hard 4, Indiana Jones 4, John Rambo, Rocky Balboa...), en adaptant platement des comics ( Ghost Rider, Les 4 Fantastiques, Iron Man...) ou en produisant des remakes à tour de bras ( Le Bal de l'Horreur, Halloween, Fog, The Rocky Horror Picture Show, La Colline a des Yeux, New York 1997, Vendredi 13...), le dynamisme dont fait preuve Warner fait réellement plaisir à voir. En misant intelligemment sur des valeurs sûres et de nouveaux talents, le studio a réussi à redresser la barre, tant financièrement que qualitativement, reconquérant le cœur du public et des cinéphiles du monde entier. Et le plus étonnant, c'est que même si certains de ces films font des bides ( Speed Racer), le studio semble vouloir continuer sur cette voie, comme le confirment les futures sorties de The curious Case of Benjamin Button de David Fincher ou de Chandni Chowk to China, premier film bollywoodien produit par un studio américain. Souhaitons qu'ils continuent longtemps ainsi et que le succès soit au rendez-vous...