Le flingue parodique : 1964-70
Au milieu des années 60, la tueuse au regard d’acier n’est plus prise au sérieux. La formule va trouver un nouveau souffle dans une forme de second degré où le pistolet oscille entre deux extrêmes :
- un accessoire glamour (en complément des ongles et du fume-cigarettes) ;
- un marqueur féministe (dérision de la virilité).
Article précédent : 2 Flingueuses de face : l’âge noir (1955-65)
Cette comédie peut être considéré comme l’anthologie des contre-emplois du pistolet :
- bâton de rouge à lèvres inversé…
- briquet…
- jouet de gamine.
A l’époque, tout le monde ne voit pas que le trépied de la mitrailleuse et les deux figures jumelées évoquent les initiales du titre, V et M. Mais tout le monde comprend bien que, sous couvert d’une révolution d’opérette, le film titille le sujet principal de l’époque, la révolution sexuelle : à savoir QUI presse la gâchette.
1973, Les Pétroleuses,
Huit ans plus tard, pour cet autre western parodique, en France l’affaire est pliée : le seul sujet est le combat de stars. Seule une lointaine affiche polonaise prend encore au sérieux le combat des sexes.
1962, Affiches pour Dr No
Dès le premier film s’établit le principe des affiches de James Bond : de face ou de biais, c’est toujours Sean Connery qui tient le gun, il tire quand (et qui) il veut.
Playboy, couverture de novembre 1965
Il faut trois ans avant que Playboy n’inverse le propos, dans cette couverture fracassante pour l’époque.
1966, Anna Karina dans « Made in USA »de Godard
L’année d’après, Godard prétend détourner (et retourner) l’image de la tueuse au pistolet, dans un film qui nous apparaît maintenant comme une autodérision involontaire.
1966, Monica Vitti dans Modesty Blaise
La même année, Joseph Losey tente, sans grand lendemain, de lancer un James Bond alternatif en adaptant l’héroïne de BD Modesty Blaise.
1967, Casino Royale
L’espionne au canon d’acier caricature, au féminin, la charte graphique et symbolique de James Bond.
1967, Sheila dans le film « Bang Bang »
1967, année parodique : le scénario prétexte une formation de détective en Angleterre pour montrer Sheila à la mitraillette, et surfer sur sa chanson éponyme qui, en 1966, adaptait la chanson de Cher.
L’Italie reprend le « Bang bang » à la mode spaghetti.
La candide Barbarella, n’ayant connu l’amour sur Terre que par des pilules, est projetée sur une planète régressive pleine de canons hypertrophiés.
Le principe de la série « The avengers » – dont on voit ici la révélation – est de substituer au substitut phallique américain son équivalent british.
Aussi même les filles évitent le gun : soit elles se servent de leurs mains nues, soit elles tirent dans les coins avec des engins improbables.
A rebours de cette déferlante humoristique, quelques séries ou films continuent d’exploiter au premier degré l’image de la flingueuse.
1964, Senta Berger dans « The Double Affair », épisode de la série TV « The man from UNCLE »
Comme souvent, la photo de presse condense deux moments de l’histoire : la séduction initiale par l’espionne en foulard, et sa réhabilitation terminale lorsqu’elle abat le double maléfique.
Revue en 1966 comme soldate de la Hagannah experte en mitraillette, Senta Berger capitalise une troisième fois sur son image de flingueuse, dans un polar qui a laissé peu de traces.
Le flingue esthétique : depuis 1970
Ayant perdu toute valeur émoustillante ou subversive , le flingue est devenu un accessoire de la féminité, à peine moins banal qu’un pantalon.
1969, Terry O’Neill, clichés de Barbara Parkins
Ici, il compense agréablement son absence…
Là, c’est le blouson qu’il remplace.
A la fin, il remplace à peu près tout.
L’oeuvre pop art combine deux moments-culte de l’inspecteur Harry : la scène de 1971 (film Dirty Harry) et la réplique de 1983 «Vas-y, fais-moi plaisir » ( film Sudden Impact). Le détournement se limite à inverser le sexe et la direction de tir.
Dans la même veine, la transition de sexe est opérée dès l’année suivante…
…et terminée par ce collage qui réussit une véritable performance : subvertir à nouveau une image déjà subvertie par une bonne dose d’autodérision (ou d’hypertrophie virile, comme on préfère).
José Luiz Benicio da Fonseca
Terminons par un maître du flingue chic, le roi des pin-up brésiliennes depuis les années 1960. A noter a contrario qu’il n’existe aucune pinup US braquant son pistolet sur le spectateur (c’est un pays où on ne rigole pas avec la gaudriole).
Le flingue revisité
De loin en loin, une oeuvre magistrale réussit à donner un coup de fouet au vieux cliché.
Une call-girl sans enfant devient la protectrice d’un enfant qu’on lui a confié. Le flingue offensif de la femme fatale se retourne, comme un gant, en arme défensive de la mère de substitution.
Icône à son tour revisitée par l’artiste féministe Joanna Wecht.
La vraie playmate Cynthia Wood rejoue en 1979 le rôle de la playmate Jo Collins, partie au Vietnam en 1965 pour offrir à un soldat méritant un abonnement à vie à Playboy . Du point de vue qui nous occupe, on pourrait dire que notre même retourne se ressourcer à l’époque de sa force naïve.
Il en résulte cette superbe image où les fantasmes américains (le lapin coquin, la cowgirl, le couple squaw-tunique bleu) déboulent en hélicoptère au beau milieu du Réel.
Les pistolets finissent par imiter les pales, démonstration visuelle de l’équivalence entre « tirer un coup » et « s’envoyer en l’air ».