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Au cinéma
1950, Gun Crazy ( Le Démon des armes)
Ce film remarquable de Joseph H. Lewis marque exactement la transition entre la virtuose du colt et la femme fatale qui va la supplanter. Peggy Cummins y joue une artiste de cirque faisant un numéro de tir, qui devient une amante vénéneuse et finit en braqueuse.
https://artifexinopere.com/wp-content/uploads/2021/11/1950-Peggy-Cummins-in-Gun-Crazy-.mp41950, Peggy Cummins dans « Gun Crazy »
Le film a un autre mérite : il rend évident le caractère puissamment métaphorique de la décharge du revolver…
1956, Natalie Wood pour Life magazine
…qui n’en finira pas de surprendre les innocentes.
Le basculement d’une formule à l’autre – de la flingueuse « à chaud » en extérieur jour à la flingueuse « à froid » en intérieur nuit – est parfaitement illustré par ces deux photos, à dix ans d’écart, de Diana Doors en starlette et en star.
1957, Anita Ekberg dans Pickup Alley (Police internationale)
Anita Ekberg développe la puissance comparée de ses deux armes de séduction massive, le flingue et le mamelon.
Le caractère insolite de la photo vient du fait que l’actrice était effectivement gauchère et que l’éclairage vient de la droite, contrairement aux habitudes. L’intention du photographe était probablement d’allonger l’ombre vers le bas-ventre, faisant voir par là le point faible de la femme fatale.
Ce film culte d’Arthur Penn ferme la boucle ouverte quinze ans plus tôt par Joseph H. Lewis , en montrant à nouveau une femme à égalité de cruauté avec l’homme. Il ouvre une nouvelle période de la représentation, non mythifiée, de la violence au cinéma.
La flingueuse fait un come-back vigoureux, six ans plus tard, comme argument principal de ce film suédois : prostituée et éborgnée pour avoir refusé un client, Christina Lindberg se venge à l’aide de son oeil de substitution.
Cette tueuse borne inspirera à Tarentino, dans Kill Bill en 2003, le personnage secondaire de Elle Driver, la killeuse au bandeau, qui n’apparaîtra cependant dans aucune des affiches originales du film.
Les couvertures de polar
En parallèle à son succès au cinéma, la figure de la flingueuse froide va se propager dans les couvertures de polar.
La toute première occurrence n’est pas une encore une femme fatale, mais une victime qui se défend, et tire légèrement de biais pour éviter de blesser le spectateur.
La victime qui se défend sommeille pendant dix ans, et se réveille dans cette couverture très marquée par l’esthétique des films d’action.
C’est à Rudolph Belarski qu’il revient, semble-t-il, de transformer la victime en une exécutrice aussi pulpeuse que glaciale. La figure de la femme fatale qui ne craint pas de vous flinguer en face à face va dès lors connaître un succès durable.
James Meese explore une première fois le sujet en 1952 sans en saisir le potentiel ; il y revient en 1954 avec le hiératisme glamour qui convient : noter, au dessus du canon, le fume-cigarette qui a déjà tiré.
C’est Robert Maguire, l’illustrateur le plus inventif graphiquement, qui donne au thème ses lettres de noblesse.
Harry Barton s’empare du sujet un peu plus tard.
En 1960, James Avati consacre deux couvertures au thème, sur les sept qu’il réalise pour des polars de Mickey Spillane.
The origin of evil
Quoique la formule puisse s’appliquer à presque tous les polars (il y a toujours une femme menaçante ou menacée quelque part) , certains titres semblent particulièrement porteurs, tel « L’origine du Mal » : le spectateur comprend bien le caractère pervers de la manipulation du pistolet par un sexe qui en est normalement dépourvu.
Plus prudente, la couverture de la première édition laissait l’arme dans la bonne main.
En pleine apogée de la formule, le personnage d’Honey West, l’un des premiers détectives féminins de la littérature policière, braque son flingue sur le lecteur dans quatre des neuf livres de G. G. Fickling, entre 1957 et 1964.
A partir de septembre 1965, le succès de la série TV impose les photographies de l’actrice à la place des couvertures illustrées. Le guépard vient surenchérir sur le pistolet, devenu banal.
A côté des maîtres du genre, des illustrateurs anonymes reprennent sporadiquement la formule…
…qui trouve aussi un regain d’intérêt à l’export.
Un illustrateur inconnu a produit cette composition prophétique, où des mains masculines monstrueuses sont tenues en respect par un pistolet et un téléphone, tel le patriarcat par la parole libérée.
Après 1965, aux USA, la mode est passée, et la formule ne se survit plus, à titre nostalgique, que sur quelques couvertures répétitives de la revue Mike Shayne mystery magazine [2].
Une exception indémodable
Seul domaine où le flingue au premier degré n’a pas pris une ride : celui des super-héroïnes.
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