pendant mes années de banquière
j'adorais porter un corset
je m'en formais un quotidiennement
en revêtant une brassière coussinée
et une camisole serrée
c'était comme une deuxième peau
sur laquelle j'enfilais
tout le reste
à commencer par un collier de perles
et pour finir avec de tous petits talons
très sobres chics et propres
j'étais bien mise
et prête au combat
depuis quelques années
je ne sais plus quoi mettre
chaque fois que je dois sortir de chez nous
ailleurs qu'au café ou au magasin
je ne sais plus m'habiller autrement
qu'en mou
pendant la semaine
je rêve même d'arriver au chalet
pour enfiler mes pantoufles crocs
dont la semelle est sculptée
de petites bosses en caoutchouc massantes
je passe mes semaines en hoodies
et en leggings de toutes sortes
sous plusieurs paires de bas de laine
des pantalons d'extérieur mous et doublés
n'importe quoi qui me garde au chaud
et me permet de passer directement
du bureau au tapis de yoga
sans avoir à me changer
ni prendre une douche après
quand je dois enfiler une paire de jeans
pour avoir un semblant d'accoutrement
je me sens rigide et à l'étroit
ne me parle même pas de porter une ceinture
et encore moins un soutien-gorge
le collier de perles a été remisé
depuis des lunes dans une craque du garde-robe
des fois j'enfile des bottes
et mes mollets se contractent
il m'est impossible d'imaginer tenir
sur des talons hauts
advenant que je sois capable
d'y insérer mes pieds
pieds que j'utilise abondamment
à travailler debout
et qui s'applatissent à vue d'oeil
comme les palmes du canard
bref mon corps se transforme
et ma bulle personnelle se dilate
il n'y a pas meilleur moment pour muer
que maintenant en télétravail et semi-confinement
mais quand il m'arrive de sortir
plus longtemps qu'une demi-heure
à l'extérieur du palace
quand je regarde les gens
et toutes ces publicités de mode
dans mon téléphone stupide
je ne peux que me demander
pourrais-je continuer
à vivre en mou
pour le restant de mes jours
sans un jour ramollir réellement?
ps : le ramollissement de ma tenue vestimentaire
n'est en rien en proportionnel
avec l'adoucissement de mon caractère