Santiago Montobbio – Monument à mon unique peine

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Avoir perdu bien vite la vie
dans un coin ou un autre ; avoir senti
comment l’eau s’échappe
peu à peu des yeux,
avoir tant senti la peur et tant senti le froid
comme pour n’être finalement rien d’autre
que la peur et le froid. Avoir eu
de l’ombre et la gorge sèche, avoir
eu ou ne pas avoir eu
et n’avoir jamais été rien d’autre que des doigts,
n’avoir, non, n’avoir jamais réussi à sortir
de cette sombre ville et n’être que
l’héritier de la déroute
me repentir seulement de n’avoir pas composé,
quand il restait du temps, un poème qui n’aurait pas souffert
d’un excès de verre, un poème simple et sans motif
mais dans lequel l’eau aurait versé tout son sens
pour que, après l’avoir reçu par le courrier invisible des os,
tu puisses le garder pour toujours comme un ami oublié
ou un chien bleuâtre qui te dirait bonne nuit
avec la ponctualité
irréprochable de l’absence.

*

Memorial para mi único agravio

Haber perdido la vida ya muy pronto,
y en cualquier esquina; haber sentido
cómo escapaba poco a poco
el agua de los ojos,
haber tenido tanto miedo y tanto frío
como para acabar siendo nada más
que miedo y frío. Haber tenido
sombra y garganta seca, haber
tenido o no haber tenido
y no haber sido nunca nada fuera de unos dedos,
no haber, no, no haber conseguido jamás salir
de esta ciudad oscura y siendo sólo
que de la derrota el heredero
únicamente arrepentirme por no haber compuesto,
cuando sobraba el tiempo, un poema que no tuviera
cristal en exceso, un poema sencillo y sin motivo
pero en el cual vaciara el agua su sentido
y que una vez enviado por el invisible correo de los huesos
pudieras para siempre ya tenerlo como olvidado amigo
o azulado perro que te diera
buenas noches con la irreprochable
puntualidad de las ausencias.

***

Santiago Montobbio (Barcelone, 1966)Le théologien dissident (Atelier La Feugraie, 2008) – Traduit de l’espagnol par Jean-Luc Breton.